samedi 27 mars 2010

Rosalie



C'est mon patron qui m'a nommée  Rosalie. 
Classique règle en bois de 45 cm, j’étais crainte et respectée dans cette classe de CE2.
Mon propriétaire avait passé presque toute sa vie à l’école, ce qui est normal pour un instituteur  ;   avant qu’on dise « professeur des écoles », on disait « maître d’école ».
On imagine difficilement que cet homme vieillissant, vêtu de son éternelle blouse grise démodée, avait pu être un petit garçon qui jouait aux billes dans cette même école publique devenue mixte après avoir été « de garçons ».
Il arpentait les rangs en rythmant ses dictées, il me balançait pour insister sur un mot  ou  une terminaison   difficile : « les genoux –« kssss » -», ou pour  suivre le cours d’un fleuve  sur la carte.
Dans ces moments, j’aimais déceler son sourire débonnaire derrière sa moustache à la Brassens.
J’ai parfois effleuré les doigts  ou les épaules d’élèves récalcitrants, ou somnolents, mais c’était rare, car mon propriétaire, plutôt calme, ne se mettait jamais en colère. Pour marquer son agacement il faisait sursauter toute la classe en  me tapant à plat sur son bureau : les chuchotements des garnements tétanisés cessaient immédiatement (pour reprendre un peu plus tard...) les dos se redressaient, et  on entendait le silence pendant les quelques secondes suivantes.
Bien sûr, il m’utilisait  aussi pour tirer des traits sur son cahier, mais il me délaissait fièrement pour tracer  à main levée des traits impeccables sur le tableau noir. J’étais un peu jalouse.
A la fin de cette année 1987, mon maître, avant de partir à la retraite, m’a offert à un des  élèves de cette classe.
Si vous m’acceptez dans votre musée, je serai heureuse de revoir des enfants, qui viendront  s’agglutiner devant ma vitrine et j’espère que vous leur raconterez mon histoire. 

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