vendredi 1 novembre 2019

Blues

*

C'est  l'automne et  le  blues  est  moins grave  que  d'habitude parce  que  je  n'ai  même  pas  le  temps  de  déprimer.

J'ai  pris ma  ration  de  mer  et  de  ciel  bleu et  j'ai  repris  le  travail  avec  entrain  sinon  enthousiasme.


Depuis  mon  retour  de  vacances,  je  suis  entraîné dans  un tourbillon monstrueux 
-l'administratif  à  régler, et mon  travail  dont  le  rythme  s'accélère.    
Le  rangement  des  affaires  de  Pa  et  Ma  que  nous  nous  partageons Frère  et  moi,  prend  beaucoup  de  temps et  ranime  des  souvenirs. 
Chaque  meuble  beau  ou laid  ou simplement pratique  a  son  histoire :
 -la  psyché  de  ma  grand  mère :  dès  que j'arrivais,  je  fonçais fouiller  ce meuble  à  la  recherche  de  secrets ;   je  crois  que  ma  grand  mère  y  cachait exprès des  images ou  des  photos en  prévision de  mon  passage ;  
-le  buffet  en  formica  de  notre   première cuisine  post  exil, la salle  à  manger   moche  encombrante  et  tape  à  l'oeil qui  plaisait  tant  à  Ma et dont  personne  ne  voudra.  
- il  a  fallu  se  résoudre  à mettre  en  vente   quelques objets  de  valeur  qui  n'auraient  pas  trouvé  de  place chez  nous,  avec,  à  chaque  fois, cette arrière  gout  de  trahison,  cette  impression de  vendre  une  part  de  notre  âme. 
Tout  ce  que  j'ai  choisi  de  garder  encombre  maintenant   la  salle  de  la  Table ;  la Table  elle  même  parait  presque  rangée  à  côté  des  cartons  qui  s'empilent  autour  d'elle. 
J'ai  profité  des  vacances  pour  trier  les  dias  pos,  sous  l'oeil  sévère  de  Sat,  mon  fils  aîné  (qui  me  dit  son  angoisse  quand  son tour  viendra  de  faire  la  même  chose  dans  ma  maison) ;   j'en  ai  jeté beaucoup de  dias  pos, toutes  celles   de paysages,  c'était  plus  facile que  de  jeter  les  K7  audio  ou  vidéo. 
J'ai  gardé  les  quelques  dias pos  où  nous  sourions  bêtement  à  l'objectif , jeunes  et  faussement  heureux :  il  y  a  là  les  noëls  avec  mes  grands  mères, les  vacances  à  la  plage, les  quelques  voyages ...Le  tri  puis  le  scann des  photos  sera  plus  long  et  éprouvant.
Ma  bibliothèque  qui  était déjà pleine  s'est  enrichie  de  livres  que  je  n'aurai  sans  doute  jamais  le  temps  de  lire. Je  n'ai  pas  eu  le  courage  de  me  séparer  du superbe  Larousse relié en  10  volumes +1 qui  valait  une  fortune  à  l'époque  et  que  je  feuilletais  avec  respect. 





De  même, je  n'ai  pas  pu  non plus  laisser  partir  cet  hideux  plateau  rond  en  bois sombre venu  de  chez  ma  grand  mère gravé  d'un "donnez  nous  notre  pain  quotidien" d'un mauvais  goût attendrissant. Je  l'ai  planqué en douce  sur  le  frigo (à  côté  d'un  plateau  à  fromage moche  mais également  "rescapé" ) pour  éviter  les  sarcasmes  des  escalators.(lesquels  font  semblant  de  n' avoir  rien vu )

Et  cette   coupe  en  argent  ou  métal  argenté  qui  appartenait  à  mon  grand  père : au  départ en  exil,   il avait  pris,  dans  une  minuscule  valise  quelques  vêtements   son livre  de  prières,  son tallith  et cette  coupe  dans  laquelle  il  versait  le  vin  du  kiddouch le vendredi  soir.  


Bien  sûr  beaucoup  de  choses partent  en  ressourcerie  ou  sont  données  à  des  amis.
Mais même  si  nous  "avançons ", Frère  et  moi, nous restons  effarés  devant  l'ampleur de  la  tâche. 
Et  je prends  conscience  de  cette  perte  de  valeur  des   choses,  tous  ces  objets  et  meubles  amoureusement  choisis,   qui  ne  nous  plaisaient  pas  forcément mais   qui  constituaient  l'univers  de nos  parents  sont  "invendables " même  en  tentant  les  sites  dédiés  sur  le  Net. (bien  sûr  nous  n'avons  pas  le  temps  de  jouer  à  ça ) Vendre  certains  objets  même  à  un  prix  dérisoire  m'aurait  consolé de  la  perte . J'aurais  voulu  rencontrer  quelqu'un  qui aurait  dit :  "je  veux  bien  ce truc  là,  il  me  plait, j'en  aurai  l'usage".
Il faut  que  j'avance. Je  me  suis  promis  de  terminer de ne  pas  laisser  ce  capharnaüm  à  mes  fils. Alors  j'y  passe  mon  temps  libre,  j'en  rêve  la  nuit. 
Dès que  j'aurai  fini, dans  quelques  mois  j'espère,   je  pourrai  m'attaquer  à  l'édition  des  écrits  et  conférences  de  Pa  et  Ma ... et  je  pourrai  m'arrêter  un  peu  pour  réfléchir  et  réaliser  qu'ils  ne  sont  plus  là,  et  que  je  suis  triste, et  je  pourrai  me  tourner  vers  le  bout  d'avenir  qu'il  me  reste et  le  consacrer aux  vivants moi  inclus.   




* la version en public de la  chanson  est  vraiment émouvante
celle  qui  suit  est  plus  "propre  sur elle " a  moins  de  saveur  mais  Alain  chante  plus  juste.


10 commentaires:

  1. je vois très bien dans quelle "étape" tu es, et avec quels tiraillements...
    bon courage, cher Zigmund

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  2. j'avoue que je n'étais pas préparé à ça comme si le monde allait s'arrêter avec la mort de Pa Je crois que j'avais occulté cet aspect du deuil...
    Merci Adrienne

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  3. Tiens ! Tu me rappelles que sur la garde-robe de la deuxième chambre de notre appartement on trouve deux énormes cartons emplis de photos qui en sont à leur deuxième déménagement ;-)
    Bon courage !

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  4. mon rapport aux photos est voisin de mon rapport aux livres : la main au dessus de la poubelle se bloque et je me dis "non c'est pas possible " certaines photos sont numérisées mais je n'ai pas confiance dans ce support . rien n'est éternel ... impermanence et toute cette sorte de choses

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  5. Côté livres, c'est (presque ) réglé : j'ai porté moi-même une bonne vingtaine de cartons chez Oxfam. Il ne me reste que deux rayonnages mélangeant bouquins de cuisine, de musique, d'architecture, catalogues d'expos etc...
    Côté impermanence, je crains bien d'être moins durable encore que les disques durs actuels :-)

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  6. c'est un peu ce que j'essaye de faire pour les livres mais avec un handicap de taille : je n'ai plus la force de descendre les cartons et je dépends de mes garçons qui ont peu de temps.

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  7. Merci Berthoise je sais nager mais là je me noie plus ou moins devant l'ampleur de la tâche ce qui explique que je délaisse mes amis et blogamis j'espère que tu vas bien bises

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  8. Mais pourquoi de notre vivant accumule-t-on tant de choses qui partirons sans leur souvenir.

    “Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?”

    et à 84 automnes je sais de quoi je parle car je trouve toujours un quelques chose de nouveau a aimer ☺




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    1. c'est la question que je me pose pour chaque objet que je souhaite garder Il y a les objets utiles ou nécessaires et les "pas nécessaires " qui sont les plus nombreux : je me souviens du moment où il a fallu mettre notre vie et nos objets (mes jouets ) dans des colis de 3kg maxi qui partaient pour la france (on disait "métropole" ) précédant de peu notre exil . J'avais 9 ans je me souviens de chaque jouet laissé derrière moi et de chaque objet qui a pu être "sauvé " comment pourrais je m'en débarrasser aujoud'hui ? mes fils le feront. pour me consoler je me répète que j'ai énormément plus de chance que les réfugiés qui traversent les mers et les frontières pour arriver chez nous.
      quoi qu'il en soit il y a effectivement toujours de nouveaux objets de livres à aimer et adopter
      bienvenue ici

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