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vendredi 24 avril 2020

Voyages immobiles : 1966

 J'ai 13 ans :  mes grands  parents  m'emmènent  avec  eux  pour  le  voyage  de  leurs  rêves.

Depuis  tout  petit,  j'en  ai  rêvé  aussi. J'ai  toujours baigné  là  dedans   à  commencer  par  la  langue :  dès  que j'ai  su  lire en  français,  j'ai  commencé à  apprendre  à  lire  en  hébreu. 
Nous  partons  pour  10 jours  de  voyage organisé  très  classique. A  l'arrivée  à  l'aéroport de  Lod, j'ai  cette  sensation étonnante que quelqu'un  m'attend.
Sur  la  route  vers  Jérusalem,  le  paysage me  rappelle  mon  enfance et  j'ai  la  sensation  que  je  suis  chez  moi  ici. Plus  tard  je  tomberai  amoureux  d'autres  villes, d'autres  lieux  mais  nulle  part  ailleurs je  ne  retrouverai  cette  certitude d'être -revenu- chez  moi.
De  ce voyage  unique, fondateur  je  ne  conserve  que  des  flashs, rien  de  bien  cohérent. Il  ne  me  reste  que  3 photos, j'en  avais  pris  une  bonne  quarantaine  (ce  qui  était  énorme  à  l'époque)  et  j'ai  fait  l'erreur  de   les  confier ainsi  que  mes  négatifs  à  Ma  et  à  mes  grands  parents et   tout  a  été perdu.
Le   support  des photos aurait donné un  ordre,  une  cohérence à   mes  souvenirs. 
Alors  ce  sera  un  vrac,  une  Table  avant  l'heure...
Jérusalem : un  bel  hôtel où j'ai  du  mal  à dormir tant je  suis  submergé  par  l'émotion  d'être  ici. Au  restaurant  je  tombe  nez  à  nez  avec  une  vraie  japonaise  en  kimono, elle  me  sourit, je  croyais  que  ça  n'existait  que  dans  les  livres. 
Près  d'un  lieu  saint (le  Saint  Sépulcre ?) des  soldats  lourdement  armés, postés sur  un  toit, me  surveillent. J'ignore  de  quel  côté  de  la  frontière  ils  se  situent car  à  cette  époque la  ville  est  bizarrement  découpée
 "un  pas  de  plus  et  on  est  en  Jordanie"  
C'est  peut  être  une  blague :  en 1948  dans  un  train  qui  traversait  le  pays   du  nord   au  sud  on  lisait,  parait  il,  sur  les  fenêtres  l'inscription suivante : "interdiction  de  se  pencher  en  territoire  ennemi ". Sur  une  colline  dominant  la  ville,  je  passe  le  pied  à  travers  un  grillage imaginant  que  je  suis  passé  en  Jordanie. 
Mea  Sharim avec  ses  hommes  en noir :  chacun  est  le  martien  de  l'autre ;  l'un  d'eux pointe  sa   canne  vers  moi, je  la  dévie d'un  geste   en le  regardant droit  dans  les  yeux.
Dans  mes  souvenirs  de  Jérusalem  encore : les  manuscrits  de  la  mer  morte, la Knesseth  et le  tombeau  de  Théodore  Hertzl.
Plus tard une  courte  baignade  dans  la  mer  morte : l'eau avait  une  consistance graisseuse assez  désagréable.

Traversée  du  Négev   vers  Eilat. La  guide  nous  raconte  l'histoire  du  rocher  rouge. Des  jeunes  gens  à  cette  époque  voulaient  voir  ce  rocher ... aucun  n'est  revenu. La  chanson  qui  suit reprend  cette  tragique  histoire.  Moi  qui  adore  déjà  les villes et  le  bruit,  je  tombe immédiatement amoureux  de  ce  désert  et  je  me  promets  d'y  revenir.
Remontée vers  la  Galilée,  les  noms  de  lieux  se  bousculent dans  ma  mémoire  :Tel  Aviv,   Safed,   Ayelet  Hashahar et  Haifa.
Et  reste  le  souvenir  d'un  séder  un peu  triste et  de  la  promesse jamais tenue  de  revenir.  
Ce  post ne  décrit  pas  qu'un  "beau  voyage", reflet d'une  profonde déchirure, il  est  surtout  destiné  à  mes  proches   et  fut  l'un  des  plus  difficiles  à  écrire.


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7 commentaires:

  1. En 1969, je suis partie travailler durant quelques mois au kibboutz Baram en Haute Galilée (juste au dessous du Liban avec la Syrie pas très loin où on pouvait se perdre en marchant).

    1968 était passé par là juste avant et j'avais envie d'autre chose qui donne un sens à ma vie.

    Si je n'ai pas eu cette sensation d'arriver chez moi à Lod, par la suite j'ai
    évidemment vu tous les lieux que tu cites et bien d'autres encore (Avdat, Jaffa, Beer Sheva, Eilat...).

    Je précise que je ne suis pas juive ni croyante mais pour autant, je crois avoir éprouvé les mêmes sentiments que toi, sentiments qui perdurent encore aujourd'hui. C'était comme si ce tout petit pays était aussi ma patrie, la patrie de tous.

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  2. merci pour ton commentaire
    oui j'en ai oublié plein vus trop vite ou avec des souvenirs trop personnels pour être livrés ici
    Eilat, Césarée, une cité nabathéenne...
    je me doutais qu'un tel voyage pouvait marquer aussi un non juif probablement plus à cette époque de "pionniers"
    je retournerai peut être mais je crains d'être déçu de cette évolution (nécessaire)vers un état axé sur l'économie comme le sont toutes les démocraties occidentales. je précise que je ne suis pas religieux et plutôt ancré à gauche.

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    1. Je pense que je n'aimerais pas y retourner aujourd'hui. Bien sûr qu'il y a eu des évolutions nécessaires mais il y en a eu d'autres qui me heurtent profondément.
      Même si à mon époque tout n'était pas rose entre les différentes communautés, il y avait néanmoins une forme œcuménisme bienveillant dans la plupart des lieux.
      Mon plus beau souvenir : avoir passé une journée avec les femmes bédouines, dans leur tente.

      Je suis également plutôt ancrée à gauche...

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    2. je comprends. pour moi c'est un peu différent car même si ma vie est ici c'est là bas le seul endroit où je suis "chez moi " Si je retourne je me préparerai au "choc "

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  3. Ma mère a fait ce voyage il y a trois ans avec ses amis dont une ou deux vivent là-bas (elle a étudié en Amérique latine dans une école ayant des élèves filles de religion hébraïque, protestante méthodiste et catholique). Ce voyage les a toutes beaucoup touchées. Pour ma part, chaque fois que je touche la terre de ma famille maternelle dont j'ai aussi la nationalité, il y a ce lien qui perdure.

    Je t'embrasse Zig et t'espère en bonne santé et le coeur pas trop lourd (léger ?)

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  4. une partie de ma famille y vit et attend ma visite et j'ai repoussé pour plein de mauvaises raisons
    je crois que j'ai peur du changement que je vais trouver j'ai peur que ça casse mon vieux rêve ... et pourtant c'est chez moi Je vais bien j'aurais bien repris un peu de ce temps libre qui m'a été donné pendant 55 jours
    mais c'et été abuser^j'espère que tu vas bien Caro Bises

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    1. Oui, je reprends enfin le travail mais de chez moi. C'est ce que je me dis pour mon prochain retour au pays, il paraît que Lima a poussé tel un champignon. Je t'envoie une nouvelle que j'ai remaniée depuis qui parle de cela. Je t'embrasse. Caro

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