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vendredi 3 février 2012

la consultation Léontine

Léontine est assise sagement dans la salle d'attente...  et mon moral vient de s'offrir un beau plongeon.

Jusqu'à présent, je tenais mon rythme : un par quart d'heure, un brin de retard acceptable, tout roulait...
Je prends un air jovial pour lui dire d'entrer tout en pensant : 
" aie ! c'est parti pour la demi heure ! " .

Gagné ! Léontine rassemble ses deux cannes,  a du mal à se séparer de sa chaise, je l'aide ;  bras dessus bras dessous, et clopin clopant, nous entrons dans mon bureau. Je voudrais bien qu'elle s'assoie directement sur le fauteuil d'examen mais c'est compter sans le manteau, l'écharpe, et les trois gilets qu'elle porte et qu'elle a décidé d'enlever.
Pendant ce temps l'une de ses cannes vient de choir bruyamment sur le carrelage et ce bruit que j'exècre a encore failli me provoquer une crise cardiaque. D'un air enjoué, je ramasse la coupable canne, je kidnappe la deuxième et la pose sur le bureau ...voilà le problème du bruit de la canne qui tombe réglé.
Enfin avec mon aide, Léontine s'est assise sur mon siège. Pendant que je me concentre sur le résumé des épisodes précédents  son dossier,  elle me parle, parfois me saoule de paroles, m'embrouille gentillement. J'écoute patiemment tout en essayant de rassembler une part de mes neurones sur son histoire.
Cataracte qu'elle refuse depuis des années de faire opérer, diabète à peu près équilibré,(elle réserve les secrêts de son hémoglobine glyquée à son médecin traitant : à quoi ça vous sert pour mes lunettes ?) laser ancien sur décollement de rétine.(zut va falloir  le fond d'oeil complet  ! ). Tout en l'écoutant (car je l'écoute quand même) je lui pose d'office la monture d'essai et lui demande de lire l'optotype (moyen habile pour recentrer tout le monde) .
En général c'est à ce moment que Léontine teste à fond  ma zénitude :  dès le 5/10 elle lit une lettre par minute, begaie, se reprend, critique la taille de l'optotype (dites donc elles ont encore rapetissé vos lettres !) et quand elle a fini de lire une ligne de lettres j'ai du mal à me souvenir de ce que nous faisions ici elle et moi .
Mais faut croire que je suis maso parce que je ne vais pas en rester là : il ne sera pas dit que ma Léontine aura 5/10 non améliorable sans que je comprenne bien  pourquoi ... Donc je vais rapidement tenter de voir si un autre verre l'améliore, si on ne peut pas lui rajouter un petit dizième en passant. Je sais que j'ai tort, je sais que je me prends la tête pour que dalle, que Léontine ne répond jamais à la grande question  existentielle des ophtalmos : "mieux comme ça ou comme ça?".
Je crois que c'est   cette "prise de tête"  sur la réfraction qui nous différencie entre autres de l'opticien.
Bon revenons à Léontine qui s'impatiente derrière sa monture" l'aveu" avec ses 5/10 non améliorables...
Bien conscient du retard accumulé à tenter de "remonter Léontine" , je l'installe à la lampe à fente , pas facile avec son arthrose. Elle refuse toujours  d'être opérée de cataracte , elle préférerait que je change ses lunettes : il faut encore que je lui explique que je viens d'essayer et qu'il n'y a pas d'autre solution que l'opération.
Mais Léontine ne l'entend pas de cette oreille (enfin quand elle a pensé à mettre ses appareils acoustiques ! ) et revient à la charge : " tout ce que je demande c'est des verres un peu plus forts ".
Alors j'explique plus simplement :  je pourrais vous changer vos chaussures, vous faire les plus belles et les plus confortables, jamais plus vous ne courrez plus le 100 mètres( je dirais bien "jamais plus vous ne danserez le french cancan", mais  la blague pourrait choquer à l'heure où  le politiquement correct  bride tout le monde et je m'en voudrais d'apparaître comme un médecin méprisant ou dépourvu de compassion).
Bon Léontine a compris ,  elle va  quand même refaire ses lunettes ("parce que quand même on sait jamais" = raté, elle a pas compris ) .
Pendant qu'elle met une plombe à parapher son chèque de 28€ je bous intérieurement et marque sur le dossier : "arrêter de se prendre la tête sur sa réfraction"... accompagné d'un dessin d'escargot.
Je n'ai pas réussi à faire le" vrai fond d'oeil dilaté" parce qu'il aurait fallu une autre demi heure, son fond d'oeil je l'ai deviné normal derrière sa cataracte, un petit sentiment de culpabilité m'étreint : j'espère que sa rétine périphérique est solide !...
Toujours calme et prévenant, je la raccompagne dans la salle d'attente pour la remettre à la secrétaire et lui prévoir ses prochains RDV tous les 6 mois.
Léontine m'agace c'est vrai,  mais je l'aime bien ...Soit je suis maso, soit c'est parce qu'elle a l'âge de Ma Zigmund, surement un  peu des deux...
Quand Léontine est repartie vers de nouvelles aventures, une grosse angoisse m'étreint : dans la salle d'attente pas l'ombre  d'un reposant  Kevin,  quatre autres Léontine attendent sagement leur tour ...
SNIFFFFFFFFFF!!!



2 commentaires:

  1. Leila Bacha
    Je viens de lire votre post sur Léontine et je peux vous dire que je suis pliée de rire, je me retrouve totalement dans cette histoire et je peux vous dire que j'en vois plusieurs par jours des Léon et des Léontines, parfois ils insistent pour vous montrer leur sac plein de dizaines de médicaments ("non non ce n'est pas la peine... Mais si docteur j'insiste" )

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  2. un peu de "Kevins" remonte le moral après une abondance de Léontines :-)

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