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jeudi 30 juillet 2015

L'au revoir (Abraham )


Les miroirs ont été recouverts de tissu blanc.
Mon oncle Abraham repose sous ce drap blanc au centre du salon où les hommes vont se relayer pour lire les psaumes de la veillée funèbre dès la fin du jeûne de Tisha beav.


Mon cousin  Mordechai a passé la nuit  dans ce salon près de son père, et ma tante se tient livide, droite malgré le KO, mes cousines sont sonnées également.
Auparavant, je me suis arrêté chez ma tante Simone, soeur ainée d'Abraham : me voilà avec deux mensonges à gérer... pas question de dire à cette femme âgée de 98 ans que son jeune frère est décédé, elle ignore aussi la mort de  sa petite soeur Ma Zigmund.  
Alors, je tiens mon rôle et je ments effrontément : je suis de passage à Toulouse pour un congrès d'ophtalmologie, oui, bien sûr, je vais aller voir mon oncle Abraham, "il est  fatigué"  "c'est pour ça qu'il téléphone peu, promis je vais l'embrasser de ta part "...  pas simple tout ça, mais je n'ai pas le choix.
Le cimetière, autrefois isolé  au milieu des champs, se trouve actuellement cerné par une énorme et hideuse  zône commerciale.
J'emmène rapidement mon frère sur les tombes des grands parents où je dépose des cailloux colorés.
Puis la cérémonie commence. Le jeune rabbin porte un énorme chapeau, et une redingote noire.  
Visiblement ce rabbin  assez caricatural   ne connait pas mon oncle qui était pourtant un homme très religieux, sans doute parce que son état de santé ne lui permettait pas d'aller souvent à la Schule.  
Son discours marmoné est peu audible,  tout juste s'il ne se réjouit pas que mon oncle ait choisi cette période sacrée du shabbat veille de Tisha beav  pour disparaitre.
Puis c'est  mon cousin Mordechaï qui lit en pleurant  un hommage  très émouvant,  l'assemblée est en larmes.
J'aurais voulu ajouter à la terre qui recouvre le cercueil de mon oncle une poignée de terre de cette Algérie de sa jeunesse.  J'ai mélé à la terre une pierre de verre  du même bleu que le drapeau d'Israël.

Je veux  effacer l'image de mon oncle  fatigué et malade. Finalement le cancer qui venait d'être découvert avec son cortège de métastases a perdu la bataille : mon oncle épuisé s'est éteint doucement entouré de ses enfants et de son épouse chérie avant que cette saloperie de crabe ne le fasse souffrir.

Je  revois des petits moments partagés : le jour où Abraham m'a appris à nager en dégonflant ma bouée progressivement, puis plus tard quand  il m'a confié son magasin pour les vacances d'été ; je me souviens  de nos ballades sur le marché le dimanche matin.
Je le revois, quand après avoir posé sur sa tête sa serviette pliée en guise de kipa,  il faisait  la prière du  kiddouch et quand il nous lançait les morceaux de pain après avoir les avoir brièvement trempés dans le sel. Je n'oublie pas l'accueil chaleureux que lui et ma tante nous  ont fait à Gabrielle et moi  à chacun de nos passages comme si nous étions leurs propres enfants.
Que la terre te soit légère mon oncle.

 (merci à Haïm qui m'a fait connaitre cette musique)

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