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samedi 29 janvier 2022

Déchirure

Pa Zigmund  était  bien jeune quand  il a  enterré  son papa. Il avait  été  choqué  de l'absence  de cercueil et  du linceul blanc  déposé  à  même  le trou dans  la terre.

En dernier hommage à son père, il avait  mis  son beau  costume quasi neuf. Il n'a  pas  compris quand  le rabbin à la  fin de la cérémonie  lui a déchiré la poche de  son costume  il a  même  failli  lui  envoyer  un coup de  poing...

Avant l'enterrement  de  Ma,  j'avais raconté cette  histoire  à  Petit Frère  en lui recommandant  de  ne  pas mettre  un beau  costume et  moi  même je  l'avoue j'avais ressorti  un vieux pull  et  une  vieille veste (le genre  qu'on garde  et  qu'on n'arrive  pas  à  jeter). Frère  avait  suivi mes  conseils  et  fait  de  même.

Mais  le  rabbin ce jour  là était  plus préoccupé par  la  pluie  qui tombait à verse  que  par  la  tradition... et  il a oublié  de déchirer  nos  vêtements. 

(la pluie  avait  posé  un autre  problème  : personne ou  presque n'avait  de parapluie , il y  en avait  deux  dans le  coffre de  ma  voiture  l'un  d'un  rouge  pétant,  l'autre  gris qui aurait  été plus  convenable  s'il n'avait  été siglé  d'un  énorme  "Sortez  couverts !" )

Donc au retour  du  cimetière, Frère m'a  dit  " je n'aurais  pas  du  t'écouter, tu  te  rends  compte à cause  de  toi  je  me  suis  mal habillé et  finalement  le  rabbin ne nous  a  rien déchiré  du tout " 

Néanmoins, quelques  années plus tard,  pour Pa  nous  avions  pris tous les  deux  les  mêmes  précautions vestimentaires... inutiles,  une fois  de  plus,  puisque  le  rabbin fut remplacé  par  un  ami  certes  très  religieux  mais capable  de  comprendre  que notre hommage à notre  père  pouvait  s'arrêter  à  la récitation du  kaddish et  que  notre  peine n'en était  pas  moins  sincère.

 Hier  j'ai  discuté de cette coutume avec  une ancienne  patiente fan de  Delphine Horvilleur. Dans  mon souvenir  ça faisait  écho  aux  textes  bibliques  où les  endeuillés déchirent  leurs  vêtements  se  couvrent  de  terre (je  manque  de  temps  pour  rechercher  les sources exactes) j'avais  toujours  trouvé  ça  théâtral et  limite  mauvais  goût. Delphine Horvilleur explique  que perdre  un proche  et  particulièrement  son  père  ou sa  mère,  est  une  déchirure  que  l'on  porte à jamais, irréparable.

Même  si nos vêtements n'ont  pas  subi le coup de  ciseaux  du rabbin, Frère  et  moi  sommes  orphelins et  la  plaie ne  se  refermera pas. Nous  vivons  avec cette  déchirure. 

  

   


 

6 commentaires:

  1. je comprends la déchirure mais je préfère qu'on ne la théâtralise pas, même pas avec mes vêtements de jardinage, j'ai besoin de mes poches pour y mettre les mouchoirs ;-)
    bises, Zigmund

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    1. oui tu as raison la theatralisation me semble nuire en qq sorte à la sincérité t'es là scotché comme un robot tu es en train d'enterrer ton père et t'as un gars qui vient couper ton costume pour te rappeler que tu es triste ... au cas où tu l'aurais oublié :-)
      bises Adrienne

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  2. Si l'expression de la douleur est de se déchirer les vêtements et se couvrir la tête de cendres, comme il me semble l'avoir rencontré dans certains passages de l'ancien testament aux temps lointains où je l'ai lu, je ne vois pas en quoi l'intervention du rabbin est nécessaire, on n'est jamais mieux servi que par soi-même, n'est-il pas ?
    Amitiés cher Zigmund.

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    1. oui walrus c'est bien ça ; le rabbin n'a pas " l'autorité " d'un curé par contre dans une petite communauté (comme une communauté juive) intervient le regard des autres "tu te rends compte on lui a pas déchiré sa poche !"
      il y a aussi la coutume de manger une ou des olives (je n'ai pas eu le temps de chercher pourquoi) forte de cette information ma belle soeur avait apporté des olives au cimetière mais nous n'y avons pas touché Je veux bien manger des olives ou un oeuf devant la tombe de mes parents mais c'est bien qu'on m'explique avant .
      même si nous avons bousculé la tradition notre peine était bien réelle et nos parents nous manquent à jamais Amicalement à toi Walrus

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  3. C'est drôle la façon de voir la mort. Quand mon père est mort, nous étions tristes. Et puis nous nous sommes réunis, nous avons ri, nous avons évoqué les sourires et quelque chose s'est allégé.
    C'est compliqué la mort ; j'aimerais que les miens dansent parce que j'ai aimé la vie. Qui sait si je n'aimerai pas la mort cette inconnue...

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  4. Nous aussi nous nous sommes réunis et même avons un peu ri, et j'aurais voulu avoir le temps de me retrouver seul pour pleurer mais il y avait tant à faire ; dans ma pratique de médecin je voyais mes patients vieillir et mourir mais je refusais l'idée que ça arrive à mes parents, j'ai passé beaucoup d'années à craindre le coup de fil qui m'annoncerait le décès de l'un ou de l'autre.

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