Bien loin derrière les événements récents aux states (sur lesquels je n'ai aucun droit ni désir de m'exprimer) le débat sur la signalisation des radars routiers (qui déchire la majorité présidentielle, car, sans doute plus important que le chômage !), on entend parler des négociations conventionnelles entre la sécu et les syndicats médicaux.
Les échos de ces négociations me mettent dans une rage noire.
En résumé nous avons droit aux affirmations suivantes :
La plupart des jeunes s'installent en secteur à honoraires libres = secteur 2
Oh les vilains méchants qui font des dépassements d'honoraires étranglant le pauvre peuple !
Et en plus, ces riches médecins secteur 2 sans cœur sont très souvent des ophtalmologistes chirurgiens.
Ah ma bonne dame où va-t-on, je vous le demande ! (sanglots dans la voix du journaleux)
J'ai la chance que ce blog soit peu lu (je n'aurais pas le temps de répondre à des commentaires trop nombreux) et je vais pouvoir prendre la défense de mes confrères soit disant nantis et roulant presque tous en voiture de course allemande.
Quelques rappels : dans ce pays on devient médecin généraliste à bac + 8 ; pendant ces 8 ans, on est une charge peu rentable pour sa famille. (Voir "gratuité des études médicales"), on devient chirurgien ou médecin spécialiste en rajoutant trois à cinq ans d'internat à ces études ce qui nous amène à Bac+13.
Pourquoi les médecins spécialistes choisissent ils massivement le secteur 2 dit "à honoraires libres" et quelles sont les conséquences de ce choix ?
Il fut un temps (lointain) où la plupart des médecins exerçaient en secteur1. A cette époque, les honoraires étaient régulièrement révisés avec une hausse moyenne d'un euro par an pour le prix de base de la consultation.
A cette époque, quand fut proposé le passage en secteur à honoraires libres certains (dont je suis) n'y ont vu aucun intérêt : le prix de la consultation était correct, régulièrement revalorisé et je ne souhaitais pas pénaliser mes patients modestes retraités par des honoraires trop lourds.
A partir des années 95, les honoraires ont stagné (quand le coût de la vie augmentait et les charges itou) et le passage en secteur 2 a été bloqué livrant les médecins secteur 1 pieds et poings liés au bon vouloir de dame sécu quant aux honoraires.
Dans ces conditions, quel jeune médecin serait aujourd'hui assez bête ou idéaliste pour refuser la possibilité d'une certaine liberté de ses honoraires ?
Les conséquences de ce choix sont visibles : secteur 2 pour la plupart des jeunes spécialistes et en particulier les chirurgiens.
Pour ces derniers, les protocoles de plus en plus contraignants, les précautions à prendre alourdissent le prix de l'acte chirurgical que la sécu refuse de revaloriser.
Les représentants des caisses d'assurance maladie, relayés par la presse crient haut et fort au scandale ... mais il faut savoir que les dépassements d'honoraires ne plombent en rien les comptes de la sécu puisque ce sont les mutuelles qui interviennent pour les rembourser. Au contraire les médecins secteur 2 paient en contre partie des cotisations sociales bien plus conséquentes que les médecins secteur 1.
Et, se demande le journaleux de base, pourquoi les ophtalmologistes secteur 2 sont-ils légion ? ("non seulement ils vous donnent des rendez-vous à six mois de délai, mais en plus, ils vous prennent plein de sous !")
Tout simplement parce que, outre les raisons citées plus haut, la spécialité a beaucoup évolué : le matériel nécessaire pour faire du bon travail coûte une fortune, se casse ou devient obsolète avant d'avoir été amorti.
Et puis il y a le problème de la démographie : pour tenter de répondre aux besoins croissants d'une population vieillissante, certains ophtalmologistes font appel à des orthoptistes pour la première partie de la consultation.(calcul et vérification des lunettes)
Ces orthoptistes permettent d'augmenter le nombre de consultations mais constituent une charge financière trop importante si la consultation reste bloquée à 28€ (c'est le prix en secteur 1).
D'aucuns me rappelleront le train de vie de certains de mes confrères secteur 2 et ajouteront que les médecins ne sont pas à plaindre que tout ça c'est corporatisme et compagnie : il suffit de comparer l'évolution du prix du pain, du SMIG, et de la consultation.
Chers journaleux qui passeriez par ici, chers représentants des caisses d'assurance maladie, chers décideurs politiques de tout poil, qui avez organisé les déserts médicaux que vous dénoncez aujourd'hui, hors urgence urgentissime, vous aurez du mal à obtenir un rendez-vous avec moi, qui suis ligoté au secteur 1 probablement jusqu'à ma retraite sans successeur.
Mes rendez-vous sont complets pour les douze mois à venir, pour vous, non seulement il n'y aura pas de passe-droit, mais en plus je m'offrirai un dépassement d'honoraires conséquent,(préparez les billets de 100€) seul moyen d'exprimer ma colère.