http://www.clubdesmedecinsblogueurs.com/PrivesDeMG/
Il y a un an, l'opération "#privés de déserts" avait réuni des médecins généralistes qui s'étaient rassemblés pour émettre des idées à propos des déserts médicaux.
Je me souviens avoir envoyé un post vite fait mal fait pour que les ophtalmos ne soient pas oubliés.
Qu'à l'époque cette petite voix des ophtalmos se soit perdue dans le désert n'est pas étonnant.
Comme je suis du genre coriace, et insistant, voire répétitif, je vais donc en remettre une couche , apporter ma pierre à l'édifice de mes confrères.
Vieil ophtalmo plutôt médical installé par choix dans une zone semi rurale semi désertique, j'ai, peu de temps après la création de mon cabinet, cherché un associé...en vain. Il y a longtemps que je n'ai pas vu la queue l'ombre d'un remplaçant. Et dans quelques années je fermerai mon cabinet sans successeur.
Mais d'abord, si vous manquez de temps pour me lire, prenez le temps de regarder cette vidéo "où sont passés les ophtalmos" faite par le SNOF (Syndicat national des ophtalmologistes français)
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Mais, me direz vous, que vient faire un ophtalmo dans cette galère dans ce groupe #PrivésDeMG ?
Nous ophtalmologistes médicaux sommes un peu les MG de notre spécialité. Avec une différence de taille : l'hôpital nous a en général très bien préparés au quotidien de notre spécialité (tout en nous enseignant les moutons à 5 pattes, sinon ce ne serait pas l'Hôpital ! :-) )
En revanche, je me souviens qu'à la fin de mes études de médecine, j'ignorais tout de la réalité d'un cabinet de MG ; d'ailleurs, le souvenir de mes quelques remplacements de MG est plutôt une honte. A cette époque, pour faire un stage chez un MG c'était le parcours du combattant : l'hôpital tenait à garder ses médecins à tout faire, à prix cassés (brancardage, aide opératoire, manipulateur radio...).
C'est pourquoi je trouvais intéressante l'idée de mes confrères de valoriser au maximum le stage chez le praticien en fin d'études et même de le rendre obligatoire.
Bien sûr, nous, ophtalmologistes, sommes des "spécialistes d'organe", mais il n'est pas rare de nous trouver en première ligne avec nos collègues médecins généralistes pour le dépistage et/ou le suivi de certaines pathologies générales :
-via l'"inspection" les tumeurs cutanées (paupières bien sûr mais un ophtalmo normalement consciencieux regarde aussi le visage et les mains de ses patients... bon, on va pas les déshabiller, non plus ! )
-via les cataractes congénitales, les pathologies orbitaires, les uvéites, les strabismes
-via les paralysies oculo motrices, l'examen du champ visuel, et/ou le fameux fond d'oeil : les tumeurs cérébrales.
-via le fond d'oeil toujours : l'hypertension artérielle, le diabète, les troubles lipidiques.
C'est pour tout ça qu'il nous a été utile d'user nos fonds de culotte sur les bancs des facultés de médecine.
Je dois préciser que "de mon temps" on choisissait presque librement sa spécialité, sans passer par l'ECN. L'internat ouvrait la voie royale de la chirurgie (ou permettait d'apprendre sa spécialité sans être obligé de dépendre financièrement de ses proches.
J'ai choisi cette spécialité et non la médecine générale (que je croyais vouloir exercer) après avoir compris à quel point l'enseignement hospitalier mettait en lumière les raretés,
en laissant dans l'ombre ce qui fait le quotidien d'un médecin de ville ou des champs.
Le "parcours de soins " nous met en première ligne dans 3 cas
-les urgences
-les lunettes
-le glaucome
Mais ceci est perçu par nos patients, et même par nos correspondants comme un "j'y ai droit, là, tout de suite !"
Et trolls et mal-comprenants de nous chanter en choeur :
-"c'est quand même un scandale de devoir attendre autant pour obtenir un RDV chez l'ophtalmo et avoir des lunettes"
-"si vous laissiez les lunettes aux opticiens vous pourriez vous consacrer aux "taches nobles" de votre spécialité "
La réponse est simple : un rapide sondage chez les confrères montre que le pourcentage des patients qui viennent nous voir " juste pour des lunettes" (et qui "repartent " sans pathologie détectée) est assez faible : 15 à 30%. Nos patients ne consultent pas pour avoir un "bon pour des lunettes", ils viennent nous voir parce qu'une baisse de vision peut être due à tout un tas de choses...et -mais ça on ne le sait qu'à la fin de la consultation- tant mieux s'il ne s'agit que de lunettes :
-pour l'ophtalmo qui va pouvoir rassurer son patient (et ne pas être obligé de rajouter d'autres consultations : ce que j'ai appelé le "Kévin" cet être rare, reposant et rentable)
-pour le patient qui, une fois équipé de lunettes, n'aura plus de maux de tête, de fatigue sur écran, conduira sa voiture sans se mettre en danger ou être un danger public.
-pour l'opticien qui, en bon commerçant **qu'il est, se demande en permanence pourquoi l'ophtalmo ne prescrit pas deux paires de lunettes par habitant ...
Nous, ophtalmologistes médicaux, sommes une espèce en voie de disparition, non pas faute de vocations, mais faute de postes ouverts à l'ECN.
Et même si d'un coup de baguette magique, le nombre d'admis à l'ECN pour notre spécialité venait à doubler, non seulement ce serait insuffisant, trop tard, mais les patrons de CHU diraient qu'ils manquent de temps et de place pour former ces étudiants.(pourtant "de mon temps" ils savaient gérer ce pseudo surplus)
Beaucoup de jeunes ophtalmologistes et le SNOF lui même poussent à la formation d'orthoptistes pour la première partie de la consultation...ces orthoptistes seraient nos salariés, nous permettraient de voir plus de patients. Mais pour être en mesure de salarier quelqu'un, il faut voir plus de 40 patients par jour, et éjecter les "Léontines"
C'est ce qu'a parfaitement intégré le "zorro de l'ophtalmologie" de façon caricaturale.
http://lerhinocerosregardelalune.blogspot.fr/2012/02/lophtalmologie-bling-bling-portee-de_6.html
http://lerhinocerosregardelalune.blogspot.fr/2012/02/lophtalmologie-bling-bling-portee-de.html
Si c'est ce type d'ophtalmologie que vous souhaitez, ne pleurez pas, on y va direct...
Ne me demandez pas de solutions, je n'en ai aucune. La phase "réfraction" de ma spécialité a fait de moi un être "binaire" : "c'est mieux comme ça ou c'est mieux comme ça ? "
Pour moi, le problème est simple : si on manque de médecins généralistes, d'ophtalmologistes, il faut en former *** et il faut bien les former, et de préférence sur le terrain.
J'ai choisi il y a longtemps de poser ma plaque dans un désert médical. Savoir qu'aucun ne prendra ma suite, savoir que je ne pourrai jamais transmettre ce que j'ai appris à un jeune confrère me déprime au plus haut point.
Tant mieux pour ceux qui imaginent que la solution tient dans la création de maisons médicales, quel que soit le nom pompeux qu'on leur donne.
Ils oublient, entre autres, la difficulté à déplacer les patients âgés ce qui est parfois un vrai casse tête.****
Ils oublient que pour remplir une maison médicale, c'est une bonne idée qu'il y ait un minimum de médecins...
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Jean-Patrick Capdevielle - Quand t'es dans le... par siciline---
* (un an de #Baguette de #nantis envoyée quotidiennement au ministère de la santé sur Twitter)
**même le commerçant le plus honnête souhaite vous vendre l'article sur lequel il fait le plus de marge. S'en souvenir si les lunettes sont confiées un jour à l'opticien sans nécessité d'ordonnance d'un ophtalmologiste.
***et former plus d'opticiens ne sert à rien sinon à aggraver la visibilité du problème...
c'est comme si on disait :
"on manque de psychiatres ?" =>"formons plus de psychologues !"
"on manque de radiologues ?" =>"formons plus de manipulateurs radio !"
**** le déplacement des patients âgés justifierait un post à lui tout seul.
liste des participants