dimanche 15 juin 2014

partir ?

La semaine a été dense même si je n'étais pas très présent à mon cabinet.
Il se trouve que même quand je suis hors de mon cabinet, j'y travaille autant, par exemple, il y a longtemps que j'ai renoncé à traverser ma ville à pied.
La Table se remplit et ne se vide plus : le courrier est en retard et je ne cherche plus à y mettre bon ordre, les chèques attendent d'aller chez le banquier, seules les factures sont immédiatement honorées.
Parti vers d'autres aventures, j'ai découvert le point final de mon ami Genou des Alpages et je n'ai pu le lire tranquillement que quelques heures après.
Ce post, outre la tristesse de voir s'éloigner un ami, ouvre chez moi une blessure que j'imaginais maitrisée.
Depuis longtemps, j'attendais que quelqu'un écrive ce type de billet qui fait bien mal partout.
Je le vois comme un constat d'échec et comme un écho à mon propre échec et à ma motivation en chute libre.

"On peut certes, se dire que l'on est dans la m...au même titre que la plupart des français qui peinent à boucler leur budget, mais lorsque le manque de moyens commence à peser sur la qualité des soins produite, lorsque, quelles que soient les hypothèses de développement du système sanitaire, l'avenir parait sans issue, le sentiment intime de faillite personnelle est difficile à éviter. On doit se rendre à l'évidence : Cette pratique de la médecine générale telle que j'ai cru pouvoir la développer, est vouée à l'échec dans les conditions actuelles.
Ou plus exactement et plus honnêtement : moi-même, je n'y suis pas arrivé. Ce qui ne signifie peut-être pas que d'autres n'y arriveront pas...

Plus encore que l'indigence du niveau des honoraires médicaux et les difficultés financières afférentes, les insultes, le mépris, la haine que les décideurs, les caisses, la presse, les administrations développent à l'égard du médecin libéral que je suis ont fini par saper ma motivation(...)
Peut-être est-il préférable de ne plus chercher à faire valoir un modèle que le pays ne souhaite pas, même si l'on est persuadé de sa validité. On n'a pas raison contre la majorité"

Je lis et relis Genou et je m'en veux de n'avoir pas eu le même courage de déplaquer, de partir en ville, ou de passer les examens pour devenir PH temps plein.
Genou me montre que je vais vivre les prochaines années enchainé à ma lampe à fente, sous les reproches de mes patients et de mes confrères à la moindre absence, même si c'est pour un congrès. 
Le : "vous étiez en vacances ?"  avec un faux sourire complice, me fait voir rouge).
 Mon emploi du temps est probablement  plus léger que celui d'un MG ; nul  médecin n'est indispensable et un ophtalmo sans doute encore moins (puisqu'il n'intervient qu'exceptionnellement  sur des urgences vitales), mais, tant qu'il me restera 2 yeux pour examiner mes patients,  deux mains pour manipuler les verres (et aussi un morceau de cerveau), il se trouvera toujours quelqu'un pour me reprocher de ne pas être dans mon cabinet à consulter. 
Je me trouve face à ce paradoxe effroyable d'être toujours aussi fou amoureux de mon métier, d'être insatiable quant aux enseignements, et de partir chaque jour au travail en trainant les pieds (vers ma voiture, puisque la marche à pied est exclue).
Récemment, j'ai failli virer tous les patients de ma salle d'attente parce qu'un diabétique avait osé me demander poliment  de lui appliquer le tiers payant me citant en exemple  son vertueux MG et son cardiologue. Il n'avait pas de problèmes d'argent, il a d'ailleurs refusé  ma proposition d'encaissement différé des 40€ sans dépassement de la consultation, juste "il y avait droit".
Je me suis dit que si j'avais pu demander 60 ou 80€ pour cette consultation il n'aurait jamais osé ...
Je sais me maitriser mais j'avoue avoir eu ce flash : je les virais tous sans pitié à coups de pied aux fesses et sans explications.
DEHORS ! CASSEZ VOUS !

J'envoie la #BaguetteNantis machinalement tous les jours : ça ne sert pas à grand chose, j'en suis bien conscient, malgré les amis qui la diffusent fidèlement à ma suite sur les réseaux sociaux.
 L'UFML est un espoir, le seul à mon avis, mais nous sommes encore si peu nombreux, si individualistes, si divisés.
A titre personnel, je me suis bien sûr posé la question du burn out : je l'ai évacué d'un revers de main, je suis peut être un nanti, (à vous de juger) mais je n'ai pas les moyens de faire un burn out ... alors si vous le voulez bien, on oublie !...

Et puis j'ai regardé ces publications du SNOF qui concernent les avancées de la chirurgie de la cataracte, les retombées économiques de cette chirurgie et les honoraires des ophtalmos S1

 


et je pose deux questions :

1/ faut il que la cotation de la cataracte baisse pour que les chirurgiens prennent conscience que la stagnation de nos honoraires est une régression ?

2/ les ophtalmologistes S1 seraient pénalisés (sans blague !!!) ... dans ces conditions, et vu que je suis une brèle en stats, est ce qu'on peut me dire  si les stats qui donnent des honoraires croissants pour les ophtalmologistes sont fausses ou est ce que les S2 " enrichissent" les stats ?  
Je me sens vieux et fatigué ...quand je serai vraiment vieux et malade, j'aurai droit à une médecine qui ressemblera à ça  :
Oui Genou tu as raison de sauver ta peau et celle de ta famille, méprise ceux qui te traiteront de lâche, ou qui parleront d'abandon. C'est l'inverse : nous avons été abandonnés  lâchés par ceux qui auraient du nous défendre, méprisés par les ministres  voire par nos confrères heureux de leur sort,  et insultés par les journalistes et bientôt par nos patients .  
J'enrage d'être incapable ou trop vieux pour faire pareil.
Je te souhaite une longue et belle route, l'ami.
Pour finir sur une note plus gaie, et pour vous rassurer sur mon état mental, outre un entourage familial (et amical) harmonieux, il y a  
cette petite chose sans nom qui vient partager le territoire de Zigmund-chat et vadrouille joyeusement sur mon clavier.





dimanche 8 juin 2014

l'ultime gâteau au chocolat

Non,  ce post ne sera  pas une simple recette ; d'ailleurs en l'écrivant, je ne sais pas s'il est bon que je livre la recette en question. 
Ma était gourmande. Une des façons d'exprimer son amour était d'offrir les gâteaux qu'elle confectionnait.

jeudi 29 mai 2014

message personnel

Ma chère tante, 
Tu ne liras pas ces lignes, et je crois bien que  personne ne te les lira.
Je vais bientôt aller te voir à l'occasion d'un mariage, tu ne le sais pas encore.
Malgré ton grand âge, tes idées sont encore claires, et tes souvenirs bien présents.
Bien sûr, tu as quelques pertes de mémoire sur les faits récents, sur les prénoms de tes arrière petits enfants, mais j'ai rarement vu une quasi-centenaire aussi lucide que toi sur le  monde qui l'entoure.

Quand je passerai près de chez toi, je ne pourrai m'empêcher d'aller t'embrasser ; comme  d'habitude j'appellerai quelques heures avant, pour savoir si tu es d'accord pour me recevoir quelques instants.
Je nous revois l'an dernier, Gabrielle et moi  : confortablement installés dans ton salon, nous t'écoutions, émus, commenter les photos souvenirs (et avenirs) d'une belle vie,  en sirotant le délicieux thé à la menthe  accompagné de petits gâteaux secs.
Mais voilà, si je t'écris, c'est qu'il y a un truc qui bloque cette fois ci : je vais devoir te mentir et déjà l'écrit est difficile.
Et pourtant, au moins ici, et sans doute seulement ici sur ce blog, je te dois la vérité. 
Maman, ta petite soeur chérie, n'a pas survécu à sa maladie. Elle s'est éteinte en février.
J'ai accepté la décision de tes enfants, mes cousins, de garder le silence pour te ménager. Au début, ils ont pensé te préparer et te l'annoncer doucement... puis le courage leur a manqué. Pour éviter que tu n'appelles Pa pour avoir des nouvelles, comme tu le faisais régulièrement, ils ont même caché  ton répertoire téléphonique. 
 Je comprends, je ne critique pas, peut être aurais je fait pareil à leur place.
Je serai mal quand tu me demanderas des nouvelles de Ma et que je devrai répondre évasivement le truc convenu : "tu sais elle est bien fatiguée",  je crois être un mauvais comédien.
Oui ma chère tante, Ma s'est éteinte doucement dans son sommeil, sa main dans celle de Pa...Elle  a été enterrée par un  triste jeudi sous une pluie battante qui ne camouflait pas nos larmes. Ses quatre petits fils ont porté le cercueil. Mon frère a fait un superbe discours extrêmement émouvant. J'aurais voulu pouvoir te le lire  et pleurer avec toi.  Depuis, et malgré une interdiction religieuse incompréhensible, nous allons régulièrement fleurir la tombe de Ma (même si elle n'aimait pas beaucoup les fleurs). 

Pa oscille toujours  entre l'effondrement, et la colère contre les médecins.  
Pourtant les médecins avaient fait le maximum, je le sais bien, mais Ma n'était pas une malade facile, et il arrive un moment où la médecine est dépassée. Peut être le comprendras tu ?
La mort est un tabou dans notre famille, je n'ai jamais bien compris pourquoi, et ce  tabou  fait que personne ne pourra corriger le mensonge qui t'a été fait pour te protéger. Mais te protéger de quoi ? 
Aurais tu plus de peine à savoir qu'elle est morte ou de n'avoir plus de nouvelles ?
Et peut être te doutes tu de ce pieux mensonge, car mes cousins ont remarqué que tu ne demandais plus de nouvelles de Ma depuis sa disparition.

Tu as pourtant quelque peu éraflé le tabou lors de nos dernières conversations ; tu disais que ton mari te manquait et que tu serais prête le moment venu (le plus tard possible ajouterai je) à le rejoindre.
T'ai je dit que c'est moi le mécréant qui suis allé réciter  très maladroitement le Kaddish sur la tombe de ton mari ? 
Voilà ma chère tante ce que je ne pourrai pas te dire lors de notre prochaine rencontre, je m'entraîne à répéter devant la glace  le mensonge convenu "tu sais elle est vraiment très fatiguée" en prévision de ma visite. 
 très affectueusement à toi, je t'aime. 
Zigmund