Cette reproduction d'un tableau de Malaval se trouvait dans le
couloir servant de salle d'attente à la consultation glaucome.
Le
couloir était petit, les malades nombreux, certains venaient de très loin, et
tous attendaient pendant de longues heures qu'Arthur, le Boss,
regarde leurs yeux, et si possible, les rassure.
Avant
qu'ils arrivent devant "le bon dieu", comme dans tous les CHU, nous,
obscurs internes ou attachés, étions chargés de les examiner, de trier ceux qui
avaient le plus besoin des conseils ou du traitement du patron...Mais en
glaucome, rien n'est simple, tout prend du temps, les examens et les
explications, presque tout est angoissant, pour le malade, comme pour le
médecin.
Donc
les patients patientaient des heures entières, le couloir débordait, il n'y
avait parfois même plus de sièges pour les papys et mamies, quand les jeunes
étaient déjà debout.
Un
jour des malades se sont plaints :
-"dites
docteur, on veut bien attendre longtemps pour passer avec le professeur, mais
est ce que vous pourriez pas changer ce tableau, on en a marre, chaque fois
qu'on vient, de fixer cette croix pendant des heures, c'est sombre, çà nous
file le bourdon...
-c'est
vrai, vous avez raison, c'est pas très gai, on va voir ce qu'on peut faire... »
J'ai
d'abord eu l'idée de faire pivoter le tableau de 90° ou 180° histoire de
changer le point de vue sur la chose...et de tester les dons d'observation du patron...malheureusement
les ouvriers de l'hôpital avaient collé la reproduction au mur avec une
efficacité redoutable, et pas moyen de faire bouger le bidule d'un pouce, on
aurait plus vite fait de démolir le mur ...
bon
ben on abandonne...
Quelques
jours plus tard, le patron était de bon poil : j'en ai profité pour
faire remonter l'info "les malades se plaignent du tableau là, ils disent
que çà les démoralise...c'est vrai qu'il craint un peu, ce tableau ! "
-"vous
n'y connaissez rien, Zigmund, votre inculture me consterne ! Malaval, enfin !
, un grand peintre du XX ième siècle !
-'???"
-ne
me dites pas que vous ne connaissez pas Malaval ?
-ben
euh...il peint beaucoup ?
-
il s'est suicidé !
Lequel
d'entre nous a murmuré, qu'avec des œuvres comme çà, c'était pas étonnant ?
Le
boss était consterné, tant par notre inculture, que par les critiques qu'il
devinait dans nos rires sous cape...
Là
dessus, arrive Greg l'interne, qui n'avait pas assisté à la discussion. King
Arthur espérait le mettre dans son camp :
-"Franchement
Greg, que pensez vous de ce tableau ?
-je
sais pas, moi, on pourrait peut être le mettre dans les toilettes !
Re
rires étouffés, re consternation du patron, qui s'est drapé dans sa dignité et
s'est retiré, vexé, dans son bureau. Nous venions tous de descendre bien bas
dans son estime...
Quelques
années ont passé, le boss est parti, je ne le vois qu'une fois par an
lors du congrès de la société française d'ophtalmologie.
Et
un jour le service a déménagé, dans une autre partie de l'hôpital. Une benne
occupait le "carré" (prolongement du couloir d'attente) et juste à
côté, prête à partir à la déchetterie, se trouvait la croix de Malaval...
Pris
d'une grosse crise de nostalgie, j’ai demandé à la surveillante l'autorisation
de prendre la reproduction, en souvenir, car, me dit on, elle n'aura pas sa place dans le
nouveau service... autorisation accordée...
Malheureusement,
je n'étais pas seul à décider, les autres occupants de ma maison s'y sont
fermement opposés, et le panneau était bien trop grand pour ma petite voiture.
J'en
ai pris plusieurs photos, avec quelques collègues de la consultation glaucome posant à
côté, selfie avant l’heure, témoignage
de temps révolus, finalement heureux, et je me suis résigné, après un ultime
regard et la mort dans l'âme.
C'est
la photo de ce tableau que je n'aimais pas, et que j'ai voulu sauver, qui
m'accompagne depuis, fixé sur mon box de consultation.
Je
le regarde fréquemment, j'essaie de le comprendre, de m'en imprégner. Il me
rappelle mon patron, et les années passées à ses côtés...
Sur
internet, je n'ai pas trouvé de commentaires sur cette "croix rouge sur
fond noir"(piètre résumé de cette œuvre).
Nostalgie,
mais pas seulement, je crois que j'ai appris à aimer cette œuvre.
Avec
mes excuses, toute mon amitié et ma reconnaissance, à vous "King
Arthur".
.z
Votre texte est drôle et beau; et le tableau ... euh ... quand même sacrément moche ! Et cela dit, très amicalement ;)
RépondreSupprimeret encore j'ai regardé les autres sur internet ils sont moins colorés bon je ne suis pas le mieux placé pour critiquer la peinture
RépondreSupprimerfinalement c'est bien que je n'ai gardé que la photo de cette reproduction merci de ton passage
j'ai fait un tour chez toi il y a une mine de photos drôles j'aime bp