Il porte des lunettes foncées avec des caches latéraux, il me regarde à peine il a du mal à marcher jusqu'à mon bureau, bref, il se comporte quasi en aveugle. J'avais cru, lors de la prise du RDV à une simple cataracte... courage, on est partis pour 1/2 h bien tassée.
Les lunettes sont datées il suffit de regarder la monture solide et de grande taille (années 80 au carbone 14 )... et les verres qui sont minéraux ce qui n'est pas une bonne idée pour un monophtalme, même si c'est plus joli.
Avant moi, en l'espace d'une dizaine d'années, il a consulté deux confrères.
L'un d'eux, sommité incontestée du glaucome lui aurait prédit la cécité à moyen terme. C'était il y a 6 ans ...L'autre après les examens nécessaires, a prescrit un collyre qui n'a pas été instillé plus d'une semaine. Les deux ophtalmos précédents ont insisté sur l'importance primordiale d'un suivi.
Le courant passe mal : je le sens braqué contre tous les ophtalmos, visiblement, il vient à contre coeur.
Maintenant qu'il est là, il m'explique en vrac son larmoiement, sa gène à la lumière, sa mauvaise vision d'un oeil, son agacement lors de l'examen du champ visuel, son refus d'instiller les gouttes prescrites, son opposition à la chirurgie...
L'examen confirme mes inquiétudes : 6/10 pénibles sur le meilleur oeil et quasi rien à l'autre. Des 2 côtés, une cataracte jaune qu'on aimerait pouvoir opérer. La pression est limite, ce qui finalement est heureux vue l'absence de traitement depuis 2 ans.
Quant au nerf optique, c'est un exemple typique de glaucome agonique, y compris sur le meilleur oeil.
Le reste de la consultation va se passer en explications et négociations : minimiser les troubles annexes (larmoiement photophobie) pour gérer l'essentiel c'est à dire le glaucome et dans une moindre mesure, la cataracte, puis convaincre d'accepter le traitement par gouttes pour préserver l'oeil restant et réfléchir au laser ou à la chirurgie (et dans ce cas quel type de chirurgie ??? )
Cerise sur le gâteau : une atteinte maculaire que je découvre en fin de consultation et que je décide de passer sous silence provisoirement.
J'ignore si je l'ai convaincu, je vais flipper si je n'ai pas de ses nouvelles, et je vais m'angoisser s'il revient me consulter.
Nous rencontrons quelques patients de ce type, si angoissés par le risque sur leur vision, qu'ils préfèrent laisser tomber ; nous les voyons s'aggraver inexorablement.
Pour ces patients âgés, souvent dépressifs, "on marche sur les oeufs".
Pour les explications, on oscille entre la tentation de la "maltraitance ": faire peur(en prononçant le mot cécité) et de braquer la personne, et celle de la "bienveillance" avec le risque d'être perçu finalement comme trop rassurant.("si l'ophtalmo m'a pas engueulé c'est que ça va pas si mal" )
Une chose est certaine mais je n'ai pas le droit de le lui dire aussi clairement : la cécité n'est pas loin, s'il continue à traiter ainsi son glaucome par le mépris.
Pour les images :
- merci à la Société Africaine Francophone d'Ophtalmologie pour l'image du titre.
-merci au chat de Geluck
-merci à Asterix
tout ce que vous vouliez savoir sur le glaucome etc...
épisode 1
épisode 2 +++
épisode 3
Glaucome : le partage de l'angoisse
Quand je pense à Fernande
Effectivement faire peur à ce patient ne servirait à rien si ce n'est qu'il ne revienne plus. je pense que ce patient n'a pas fait le deuil de sa maladie. Il faut du temps pour cela. Peut être insister sur le fait qu'il faut qu'il se soigne pour son bien être. pour faire le deuil, il faut du temps et plusieurs ophtalmos. Sil revient, tu est le bon : il a, enfin, accepté sa maladie et il y a de l'espoir. Sinon, cela en sera un autre.
RépondreSupprimerOui tu as raison Et ce qui complique la prise en charge c'est que pour ce type de patient même si on fait le mieux (opération cataracte + glaucome) et qu'on descend la pression à un niveau acceptable (ce que nous appelons PIO cible ) la vision va continuer à se dégrader avec 80 à 90 % de risque de cécité puisque de mm que nous perdons des cellules nerveuses en vieillissant nous perdons des fibres optiques (apoptose) . wait and see
RépondreSupprimerÇa fait peur, ton histoire.
RépondreSupprimerEt toi comment vas-tu ? Où en es-tu de tes projets ?
oui mais pas suffisamment parce que c'est indolore et insidieux. Je vais bien j'ai du m'éloigner des blogs y compris du mien faute de temps.mes projets d'exil sont au point mort (https://lerhinocerosregardelalune.blogspot.com/2018/08/ready-to-give-up.html) mais je suis un incorrigible optimiste l'été reviendra et peut être qu' on se partagera un plateau de fruits de mer face au glofe bises de nous deux
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