vendredi 2 novembre 2018

Glaucome ingérable


Il porte des lunettes  foncées avec des  caches latéraux, il me regarde  à peine il a  du mal à marcher  jusqu'à mon bureau, bref, il se  comporte  quasi  en aveugle. J'avais  cru, lors de  la prise  du  RDV  à  une simple cataracte... courage,  on est  partis  pour 1/2 h  bien tassée.


Les  lunettes sont  datées il suffit  de  regarder  la monture solide et  de grande  taille  (années 80 au carbone 14 )... et les  verres  qui sont  minéraux  ce  qui n'est  pas  une bonne idée  pour un monophtalme, même  si  c'est  plus joli.  
Avant  moi, en l'espace  d'une dizaine d'années,  il a consulté deux  confrères.
L'un d'eux,  sommité   incontestée du  glaucome lui  aurait  prédit la cécité à moyen terme. C'était  il  y  a  6 ans ...L'autre après les  examens nécessaires, a  prescrit  un collyre qui n'a pas été  instillé plus d'une semaine. Les deux  ophtalmos précédents ont  insisté  sur l'importance  primordiale d'un suivi. 
Le courant  passe  mal  : je le  sens braqué contre  tous les  ophtalmos, visiblement, il vient à contre coeur.
Maintenant qu'il  est  là,  il m'explique  en vrac  son larmoiement, sa gène  à la lumière, sa mauvaise  vision d'un oeil, son agacement lors de  l'examen du champ visuel, son refus  d'instiller  les  gouttes  prescrites, son opposition à la chirurgie...
L'examen confirme  mes  inquiétudes : 6/10 pénibles sur le  meilleur  oeil  et quasi  rien à l'autre. Des  2 côtés,  une cataracte jaune qu'on aimerait  pouvoir  opérer. La  pression est  limite,  ce  qui  finalement  est   heureux  vue l'absence  de traitement depuis 2  ans.
Quant au nerf optique, c'est  un exemple  typique de  glaucome  agonique, y compris  sur le meilleur  oeil.  
Le reste de  la consultation va se  passer en explications et négociations : minimiser les  troubles annexes (larmoiement photophobie) pour  gérer l'essentiel c'est  à dire le glaucome et dans  une moindre  mesure, la cataracte, puis convaincre  d'accepter  le traitement  par  gouttes pour  préserver l'oeil restant et  réfléchir au laser ou à la chirurgie  (et dans ce cas quel type de  chirurgie ??? ) 


Cerise sur le  gâteau :  une atteinte  maculaire  que je  découvre en fin de  consultation et  que je décide  de passer  sous silence provisoirement.
J'ignore  si je l'ai convaincu, je vais flipper si je n'ai  pas de ses nouvelles, et je vais m'angoisser  s'il revient  me consulter.

Nous rencontrons  quelques  patients de ce type, si angoissés par le risque sur leur vision, qu'ils préfèrent laisser  tomber ; nous  les voyons s'aggraver inexorablement. 
Pour ces patients âgés, souvent  dépressifs, "on marche  sur les oeufs".
 Pour les  explications, on oscille  entre  la tentation  de la "maltraitance ":  faire  peur(en prononçant le mot cécité) et de braquer la personne, et celle de la "bienveillance" avec le  risque d'être  perçu finalement comme  trop rassurant.("si l'ophtalmo  m'a  pas engueulé c'est   que  ça va pas si mal" )           
Une chose  est certaine mais je  n'ai  pas le droit de le lui dire  aussi clairement  : la cécité n'est  pas  loin, s'il continue à traiter  ainsi son glaucome par le  mépris.

Pour les images  :
- merci  à la Société Africaine Francophone d'Ophtalmologie pour l'image  du titre. 
-merci au  chat  de Geluck
-merci  à Asterix 


tout ce  que vous  vouliez  savoir  sur  le glaucome etc...
épisode 1
épisode 2 +++
épisode 3
Glaucome : le partage  de l'angoisse
Quand je  pense   à Fernande  



4 commentaires:

  1. Effectivement faire peur à ce patient ne servirait à rien si ce n'est qu'il ne revienne plus. je pense que ce patient n'a pas fait le deuil de sa maladie. Il faut du temps pour cela. Peut être insister sur le fait qu'il faut qu'il se soigne pour son bien être. pour faire le deuil, il faut du temps et plusieurs ophtalmos. Sil revient, tu est le bon : il a, enfin, accepté sa maladie et il y a de l'espoir. Sinon, cela en sera un autre.

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  2. Oui tu as raison Et ce qui complique la prise en charge c'est que pour ce type de patient même si on fait le mieux (opération cataracte + glaucome) et qu'on descend la pression à un niveau acceptable (ce que nous appelons PIO cible ) la vision va continuer à se dégrader avec 80 à 90 % de risque de cécité puisque de mm que nous perdons des cellules nerveuses en vieillissant nous perdons des fibres optiques (apoptose) . wait and see

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  3. Ça fait peur, ton histoire.
    Et toi comment vas-tu ? Où en es-tu de tes projets ?

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  4. oui mais pas suffisamment parce que c'est indolore et insidieux. Je vais bien j'ai du m'éloigner des blogs y compris du mien faute de temps.mes projets d'exil sont au point mort (https://lerhinocerosregardelalune.blogspot.com/2018/08/ready-to-give-up.html) mais je suis un incorrigible optimiste l'été reviendra et peut être qu' on se partagera un plateau de fruits de mer face au glofe bises de nous deux

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