Ce billet est le développement d'un commentaire que j'ai laissé sur le post de Doc du 16
http://docteurdu16.blogspot.fr/2013/10/les-circuits-inutiles-de-lassurance.html
Il s'agit de madame A 59 ans hypertendue traitée qui a de faibles revenus (CMU).Elle reçoit une convocation de l'assurance maladie pour un examen périodique de santé : l'organisme auprès duquel la CNAM a délégué ?/privatisé?/ délocalisé ? pointe dans son rapport quelques problèmes dont un trouble de la vision.
Elle est orientée vers un ophtalmologiste apparement intégré dans ce centre médical qui lui prescrit des lunettes.
Le devis pour les lunettes est 360 € dont 160€ de sa poche qu'elle ne possède pas. Donc les lunettes attendront "des jours meilleurs".
Cette observation me conduit à plusieurs réflexions
-l'ophtalmologiste a prescrit des lunettes a certainement demandé des honoraires secteur 1 comme c'est obligatoire en cas de CMU et la consultation de cet ophtalmologiste a été prise en charge.
-la renonciation (provisoire )aux lunettes pour cause de problèmes financiers
-le prix des lunettes
La "renonciation aux lunettes" pour cause de prix
Outre que je m'étonne que la prise en charge CMU ne soit pas complète, il y a plusieurs choses à dire là dessus.
C'est à dessein que j'utilise ce terme de "renonciation" les journalistes et notre (encore)
En gros, ils assimilent les lunettes à des soins, ce qui n'est pas toujours vrai, et surtout, ils assimilent le prix élevé des lunettes à un dépassement d'honoraires de l'ophtalmo.
Ce raccourci faux et démagogique est un scandale pur et simple.
L'ophtalmologiste ne vend pas les lunettes : les médias font semblant d'ignorer cette séparation prescription/vente pour mieux stigmatiser la profession. C'est comme si on accusait un médecin de gagner de l'argent avec le prix des médicaments (parfois chers) qu'il prescrit en ignorant que c'est le pharmacien et le labo pharmaceutique qui interviennent à ce niveau.
(Notons également qu'un autre argument de même type aussi démagogique est utilisé par les médias : "les gens renoncent aux soins ophtalmo pour cause de délais trop longs" : http://lerhinocerosregardelalune.blogspot.fr/2011/11/faux-freres.html )
Par ailleurs, si l'opticien a obligation d'équiper en lunettes les bénéficiaires de la CMU gratuitement, l'ophtalmologiste même secteur 2 a obligation d'appliquer le tarif conventionnel au bénéficiaire de la CMU.
Enfin pour les non bénéficiaires de la CMU nous rappellerons la prise en charge minimaliste, et ridicule de la sécu tant sur les montures que sur les verres. Elle s'inspire encore aujourd'hui de tarifs vieux de 40 ans (quand le SMIC était à 150€/mois)
Le prix des lunettes
360€ ce n'est pas énorme s'il s'agit de verres progressifs mais c'est beaucoup s'il s'agit de verres simples.
A ma connaissance, un verre progressif coûte au minimum 200€ le verre en "bas de gamme"
Je m'étonne qu'il reste 160€ à régler dans la mesure où en cas de CMU et en l'absence de demande particulière de la patiente (monture de prix, verres affinés ) la totalité de la facture est prise en charge par la CMU.
On pourrait imaginer que madame A a une correction super alambiquée : forte myopie, astigmatisme de folie ... mais je suis prêt à parier que non : parce que, sinon, même très démunie, madame A aurait déjà eu des lunettes, ou n'aurait pas attendu qu'un centre de santé dépiste ses problèmes visuels.
Alors, nous allons supposer qu'elle a besoin d'une petite correction en vision de loin (dont elle n'avait pas conscience jusque là) et ,vu son âge, d'une correction de presbytie (donc de près lecture couture etc...)
C'est là qu'intervient la "gestion sociale de la presbytie" qui selon moi est le rôle de l'ophtalmologiste lors d' une consultation simple.
D'où mon commentaire :
soit la patiente a besoin de verres de vision de près seulement :
- on peut proposer des lunettes de vision de près sur 1 monture simple ou demi lune (et là il y en a pour moins de 360€ et la CMU prend en charge le coût des lunettes)
-si, comme on peut le supposer, la correction est encore plus basique ( vision de près située entre +2.50 et +3) on pourra utiliser des lunettes dites de dépannage de +2.50 +3 en vente partout entre 5 et 15€) (il ne s'agit pas bien sûr de lui faire des lunettes minables au rabais mais de trouver une solution d'attente de jours meilleurs)
- soit elle a aussi besoin d'une vision de loin et si elle ressent la gène, on fait une ordonnance de progressifs (pas de bifocaux sauf exception) qui coûtent cher. Si elle ne conduit pas, si elle n'est pas gênée devant la télé ça peut attendre. Les ordonnances de lunettes ont une durée de vie de 3 ans (5 ans c'est trop) : on revient donc au cas précédent en attendant des "jours meilleurs"
La séparation prescription/vente prend ici toute sa valeur : l'ophtalmologiste n'a aucun intérêt à faire des lunettes compliquées ou chères, il n'a aucun intérêt à pousser son patient à changer de monture (si l'existante est correcte et peut tenir).
Si
la détermination des verres correcteurs
prend 2 à 5 mn sur une patiente
de ce type, l'explication, la discussion qui précède peut se révéler chronophage, elle fait partie de notre métier et elle est malheureusement parfois zappée.