samedi 14 janvier 2017

Consultations d'"urgence"

;
Réfugié d'un pays en guerre, il  ne parle ni anglais ni français.

C'est un jeune adulte ;  je sais, à la lecture de son dossier, qu'il s'est récemment présenté aux urgences du CHU  pour fatigue visuelle assez ancienne.
Il me tend son smartphone pour que nous puissions nous comprendre ; il a intégré une application de traduction orale : je dois parler devant la machine et le robot transforme les paroles de chacun dans la langue de l'autre. Sa langue ne  ressemble pas à  l'arabe du Magreb auquel mes oreilles sont habituées.
La machine est sans pitié : elle traduit la moindre de mes interjections, par des à peu près pourris mais se refuse à traduire mes phrases lentes d'explications, elle refuse de traduire  la question cruciale de l'ophtalmo "mieux ou moins bien " avec ce verre ?
Par contre, elle  réussit à transformer une de mes phrases anodines du type "c'est difficile" par une obscénité injurieuse. Comment expliquer la méprise ? Il a la bonté de ne pas relever l'insulte. Il a du comprendre que c'était involontaire.
La machine s'amuse à traduire mes quintes de toux par des trucs surréalistes ! Du coup, j'ose à peine parler, et je prends soin de parler lentement et de ne pas faire de liaisons.
Je lui dis que tout est normal. Je lui prescris des lunettes.
Dans d'autres circonstances, je dirais  à ce jeune homme,  que  que le petit verre qu'il semble vouloir  pour lire sera probablement peu utile, et surtout, je lui expliquerais que l'inquiétude  pour une fatigue visuelle  depuis 1 an ne justifie  pas  un passage aux urgences d'un hôpital.

Je me suis souvenu d'une nuit de garde au CHU  : j'avais du me déplacer pour une jeune femme à 21h.
Motif de consultation : yeux qui piquent depuis 6 mois.
J'avais alors examiné la personne, vérifié qu'il n'y avait pas de loup  puis j'avais explosé : "regardez autour de vous  nous sommes aux urgences dans un hôpital, ici autour de nous,  il y a des blessés, du sang, des fractures des gens en danger de mort,  et vous osez venir pour un vieux gratouillis ? "
 "Ben oui" avait elle répondu, " dans la journée je travaille, et j'ai du mal à obtenir un rendez vous et puis je me marie dans une semaine et je ne vais pas pouvoir me maquiller " 
Ma réponse polie mais énervée  "horreur ! nous frisons le drame" etc ....  n'avait pas été politiquement correcte (mais à cette époque, on pouvait se le permettre).
Les urgences du CHU c'est pour les urgences et par définition une urgence c'est récent brutal  inquiétant... 


« Dans la tradition française, l’urgence se définit par la mise en danger à brève échéance – l’heure ou la demi-journée – de l’intégrité physique, voire de la vie d’une personne. Dans d’autres pays, notamment en Amérique du Nord, on lui accorde un périmètre beaucoup plus large, puisqu’on l’étend à tout ce qui est ressenti comme une urgence par le patient ». Malheureusement pour les services d’urgence, les Français commencent à s’identifier aux Américains et à prendre les centres 15 pour un secrétariat spécialisé susceptible de répondre à tous les maux grâce au recours au médecin de garde.


Lire la suite: http://droit-medical.com/actualites/evolution/208-urgence-medicale#ixzz4Vl0q3UON

4 commentaires:

  1. du bon usage des urgences, oui, d'accord!
    mais aussi - mon frère vit en France - s'il faut attendre parfois six mois pour un rendez-vous, on peut comprendre que des cas "non urgents" aillent aux urgences
    (gros soupir: tout se tient, et je sais bien que ce n'est pas de ta faute, loin s'en faut...)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. oui c'est pas facile et je peux comprendre l'angoisse des gens : par exemple une fois touhours aux urgences du CHU nous avons reçu un homme qui s'était un peu plus regardé dans la glace et s'était découvert un grain de beauté visiblement ancien et non dangereux et là nous n'avons pas méprisé son angoisse et l'avons juste rassuré

      Supprimer
  2. Ici nous sommes dans un désert médical et cela englobe les départements environnants. Pas de SOS médecins, difficile de trouver un médecin quand le sien part en retraite. Personne ne va aux urgences si c'est n'est le dernier recours. Avant il y a le pharmacien et le rebouteux.

    RépondreSupprimer
  3. le pays tout entier (à l'exclusion de PACA et qq zônes littorales ) est un désert médical un passage aux urgences est évalué à 200 € ...

    RépondreSupprimer

c'est à vous de réagir ....