dimanche 26 avril 2015

la cafétéria et autres réflexions





Le portail électrique de la résidence ne fonctionne toujours pas. J'ai garé ma voiture sur la place réservée aux urgences pour que tu n'aies pas trop à marcher.La porte de l'ascenseur couine : ça va t'agacer.



Il est midi, en entrant dans l'appartement je lance un joyeux "bonjour mon papa", je pose mon sac à dos dans la chambre et  je pars à ta recherche pour te faire un bisou. Tu es là assis à ton bureau classant des papiers, ou  lisant tes mails. Une fois de plus je me dis que nous avons de la chance Frère et moi d'avoir un papa de 94 ans complètement autonome et en pleine possession de ses facultés intellectuelles. Et puis je mesure aussi la contre partie acceptée depuis longtemps : je ne sais pas lequel a déteint sur l'autre de Ma ou de toi, mais Pa, reconnais que depuis la disparition de Ma tu as-parfois-un peu plus mauvais caractère.
T'inquiète pas, je me suis entraîné et le défi est d'accepter toutes les critiques sans sourciller (merci au passage à mes maîtres de Taiji) :
-"tu arrives trop tard ... trop tôt...tu arrives toujours à la même heure"
- "non je ne veux pas que tu m'aides...si tu ne m'aides pas je ne vais pas y arriver !"
Nous discutons un peu, tu racontes tes soucis de la semaine :
-la femme de ménage qui ne remet jamais les objets en place
- tes difficultés pour remplir  ta déclaration d'impôts  en tenant compte de la disparition de Ma en 2014
- ton rendez vous chez le kiné, ta visite chez le toubib, ta séance cinéma de la semaine ...
Puis c'est le départ au restaurant ;  tu n'aimes pas qu'on modifie tes habitudes. Frère comprend mal pourquoi j'accepte d'aller avec toi à cette même cafétéria de la galerie marchande... 
Nous avons pris nos petites habitudes : plateaux  composition du hors d'oeuvre, choix du plat et du dessert, passage en caisse. Les employés ont fini par nous connaitre. Tu aimes t'asseoir à la même place  près du grand arbre en plastoc si bien imité. A tour de rôle nous allons chercher notre plat et nos légumes.
J'aime regarder les gens qui nous entourent, les familles, les retraités, les travailleurs prolétaires ou petits bourgeois. 
Bien sûr je regrette parfois de ne pas pouvoir manger en terrasse au soleil dans un vrai restaurant,  mais la satisfaction de te voir calme et détendu prime  :  "nous mangeons à notre rythme", dis tu, et tu as raison.
Un bémol quand même : as tu dit à ton toubib que tu te prenais deux desserts ? l'insuline après la tarte aux pommes et les oeufs au lait ... j'ai des doutes et comme un sentiment de culpabilité de ne pas oser t'en parler. 
(et j'aime quand tu refuses la madeleine confectionnée par les escalators selon la recette de Ma et que tu refuses avec un air sévère :  non, je suis diabétique !) .
Quand tu as fini ton dessert, je vais chercher les cafés allongés dont un avec deux c*nderel  et mes 2 boules de glace : cerise et rhum raisin .

Parfois, ensuite,  nous allons au cimetière ; je dépose quelques cailloux colorés ou des fleurs sur la tombe de Ma ...  te souviens tu Pa qu'elle n'aimait pas les fleurs ?
Puis nous rentrons à l'appartement... Tes genoux te font souffrir mais tu marches bien quand même. Tu t'assois devant la télé dans ton fauteuil et souvent tu t'endors. Machinalement tu manies la zapette et c'est un peu dur pour me  concentrer.
C'est à ce moment souvent que j'ouvre mon ordinateur, ce qui te déplait, même si c'est plus pour travailler que pour jeter un oeil à mes e -mails ou aux réseaux sociaux
Je regarde les photos de Ma souriante et de Frère. Je me dis que j'ai promis de  scanner les photos qui se trouvaient dans le porte feuille de Ma  et je me souviens qu'il n'y en avait pas une  seule de moi, et ça me fait mal.
Puis vient pour moi le moment de reprendre la route, j'ai  le coeur serré  de te voir à la fois si en colère contre le moindre manquement à l'ordre que tu t'es construit et si vulnérable et attendrissant. J'enrage après le silence des non dits. Tu n'aimes pas ou comprends mal que j'aie tant voulu sortir du cadre que vous aviez tracé pour moi.
Tu ne passes sans doute pas ici, alors je vais en profiter  pour résumer : reste debout et droit mon papa  et doucement sur la tarte aux pommes ... je t'aime. 

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7 commentaires:

  1. Elle est belle cette note, elle respire l'amour que vous portez à votre père, je me souviens de la disparition de votre mère, il m'arrive de déposer des petits cailloux sur des tombes inconnues..

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  2. Bonjour Zygmund.Cet article qui m'émeut beaucoup me fait penser à cette chanson que je trouve très belle.
    http://www.lacoccinelle.net/265216.html
    A vava inouva -(J'espère que le lien va marcher)
    A moi aussi tu m'as fait découvrir les cailloux du souvenir

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  3. merci à vous deux les fleurs sont théoriquement interdites dans les cimetières juifs c'est pour ça qu'on pose des cailloux
    je mets des cailloux sur certaines tombes inconnues peu visitées
    oui le lien(a vava inouva) a marché j'aime bien cette chanson

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  4. c'est très doux et émouvant, oui.
    pour ce qui est d'interdire (plus ou moins) les gâteries sucrées à un diabétique, je suis devenue moins "stricte" ;-)
    quand je repense, aujourd'hui, à mon arrière-grand-père qui aimait tant les pâtisseries et à qui on les a interdites, à ses 90 ans!!! sous prétexte qu'il avait du diabète... et bien aujourd'hui je trouve ça très cruel, c'était lui enlever un des derniers plaisirs de l'existence.
    (je comprends très bien ce que tu dois avoir ressenti à propos des photos dans le portefeuille...)

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    1. évidemment je ne dirai rien pour les sucreries qd Ma était en bonne santé elle faisait des tas de gateaux qui se trouvaient à portée d main de Pa qui était déjà diabétique
      pour les photos, c'est un traumatisme important, même si je m'y étais préparé : dans l'appartement il n'y en avait aucune de moi, ma compagne l'avait un jour fait remarquer
      après le décès de Ma, Pa m'a demandé de lui donner une photo de moi qui a été mise dans un petit cadre sur le buffet.(http://lerhinocerosregardelalune.blogspot.fr/2014/04/photo.html) Souvent en te lisant Adrienne je me suis dit que nos mères se ressemblaient ...merci Adrienne

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  5. C'est dur de voir vieillir ceux qu'on aime.
    Bises

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    1. oui c'est difficile mais c'est inéluctable et mon papa malgré son caractère garde toutes ses facultés intellectuelles
      mais je frémis, vraiment, quand j'imagine l'inéluctable séparation .
      bises Berthoise

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