Te voilà au bout de ta route.
J'ai eu le droit de venir te voir, même si quelques jours auparavant, tu m'avais demandé de partir car tu étais trop fatiguée tu voulais dormir.
J'ai laissé passer quelques jours, puis je suis quand même revenu.
Malgré le virus qui rôde, on m'a autorisé ... tu n'as plus la force de répondre au téléphone à ta famille qui vit loin.
"Bonjour c'est Zig, j'ai eu l'autorisation de venir vous voir, si vous voulez dormir, je ne parlerai pas trop, juste je resterai un peu près de vous."
Tu as un faible sourire. Non tu ne t'es pas rendue compte que ta petite fille a fait un gros détour hier pour passer quelques instants près de toi.
Tu acceptes quelques cuillerées d'eau gélifiée j'y ai glissé une partie de tes médicaments réduits en poudre. Je me demande quel gout ça a. Je me dis que je le saurai bien assez tôt quand mon tour viendra.
Tu délires un peu, puis tu te rendors.
Faisant fi des gestes barrière, je pose ma main sur la tienne, elle glace la mienne ; toi si frileuse d'habitude, tu dis que tu n'as pas froid.
J'ai sommeil, je profite des moments où tu t'endors pour fermer les yeux et rêver. Moi qui déteste habituellement le silence, je dors et j'écoute ce faux silence d'une chambre d'hôpital : ta respiration, les bruits lointains du couloir, le déclenchement rythmé du matelas anti escarres.
Revis tu ta vie passée et les récits familiaux ? Revois tu ton père, ce colosse, sautant sur un cheval quelque part en Pologne pour aller rejoindre les gitans et échapper au précepteur chargé de lui apprendre à lire ? Illettré certes, mais polyglotte. Plus tard, pendant la guerre, il te montrera des caches dans Paris pour échapper aux rafles.
Revis tu tes rêves brisés par ta maman enfermée dans les conventions sociales ? les études, le chant lyrique pour lequel tu avais un don.
Revois tu ton ami Claude ton alter égo ? et ton mari qui t'a fait le " sale coup " de partir avant toi alors qu'il t'avait promis que vous partiriez ensemble ?
Je pense à ma propre vie à l'extérieur de cette chambre. Je revis les moments passés avec Ma puis Pa.
Aujourd'hui, tenir ta main ici et maintenant devient la chose la plus importante. Dehors, encore quelques jours à supporter les odieuses futilités liées aux fêtes de fin d'année et à faire bonne figure. Tant de proches partis trop tôt ou gravement malades cette année.
"bonne année bonne santé !"
J'espère que quelqu'un sera là pour tenir ma main quand mon tour viendra de boire l'eau gélifiée.
un peu de musique ... triste ou plus gaie pour t'accompagner dans ton sommeil.
rendez vous dans une autre vie Françoise Hardy
ce que tu dis est à la fois très beau et très triste, mais c'est surtout un très beau geste!
RépondreSupprimerdes bises, cher Docteur!
Un texte émouvant pour nous et une présence bienveillante pour elle. Tu sais y faire cher Zigmund !
RépondreSupprimer@ Adrienne et Walrus ce texte triste raconte une partie de mon quotidien Il explique mes passages plus rares sur le web Il veut aussi expliquer ma détestation de ces fêtes de fin d'année où non seulement je dois ranger la Table mais surtout avoir l'air de me réjouir, sembler passionné par les préoccupations futiles de quelques uns de mes proches, alors que je m'inquiète pour ceux qui luttent seuls contre la maladie et que je pleure ceux qui sont partis . J'avoue que le " bonne année, bonne santé " que j'envoie partout a cet arrière gout amer et plus encore cette année.
RépondreSupprimerJe comprends très bien, plus on avance en âge, plus on a des êtres chers qui nous manquent et d'autres qui sont en "mauvaise posture", en attendant que ce soit notre tour, n'est-ce pas ;-)
SupprimerAlors je te souhaite de garder un peu le moral, bises!