dimanche 24 avril 2022

Rolande


Dans la cour pavée  il y  a  une statue de la vierge à l'enfant.

Je passe  la  porte  vitrée ; une dame  me demande  mon  pass, et m'indique  le  chemin.

Je flippe  je n'avais pas  envie de  venir  mais elle  a demandé à me voir et   j'avais  promis...

 Je  me  répète  "si je ne  viens  pas, personne  ou  presque  ne  le  fera"  j'ai  promis, il n'est  plus  temps  de  reculer.

A  la  sortie de l'ascenseur,  une  salle  de  passage. Dans  mon  "bonjour"  j'essaye  de  mettre  un minimum de  pêche. Devant  une  grande  table,  6  pensionnaires  figés  dans  un jeu de  société non identifié,  me  répondent à peine, sans  bouger ;  les  autres  assis  un  peu  plus  loin  ne  répondent  pas.

Me revient  en mémoire cette  affreuse  blague  qui ne  me  fait  plus  rire :  "ici  quand  tu  dis  bonjour  c'est  la  plante  verte  qui  répond  en  premier" ... je  remarque  qu'il n'y  a même  pas  de  plante verte.

Je  longe  le  couloir  sombre  et  déprimant.  L'architecte  n'a pas  fait dans  l'originalité, il a  copié  sur le  modèle des  autres lieux du genre.

 Devant  certaines  chambres   des  appareils flambant neufs attendent pour  aider  les  pensionnaires à se  relever  de leurs  fauteuils.  Sur  chaque porte, une carte de visite mentionne  le nom des  pensionnaires (je reconnais certains de  mes  anciens patients) avec parfois  une  photo  : j'ai  de  la  peine  de  voir  tous  ces visages  souriants   immortalisés  avant  leur  entrée dans  l'établissement. Tous  ces  vieux  ont  l'air  heureux  et  ils  sont  beaux. Certains ont  mis  dans le cadre  une  photo  de leurs  chats ou de  leurs  chiens, c'est  tellement  triste ....

Je  pousse  la  porte  et je  lui  lance  un  bonjour  enjoué  alors que je sais  que  nous  sommes  tristes  tous  les  deux. Je lui  demande de  me  pardonner  d'être  venu  les  mains  vides, je  n'ai  pas  eu  le  temps  de  lui  acheter  une  petite  fleur. Les  chocolats  étaient exclus  puisqu'elle  est  diabétique.

Elle  est  contente de  me  voir, elle tente  un pauvre sourire, son exophtalmie  unilatérale s'est  aggravée.(il y  a  qq  années  j'ai  remué  ciel et terre  pour  en trouver l'origine sans  succès) 

Je  remarque  -comment  faire  autrement- l'oxygène branché à fort  débit  en permanence, le   long  tuyau  qui ne  facilite  pas  la  mobilisation de  son fauteuil roulant, le  lit  surmonté  d'un  énorme crucifix, sa commode, les  photos  des  enfants  et  petits  enfants, la  table basse  avec quelques  livres  un de  Philippe Delerm  et  un de  Jean d'Ormesson  

Au mur un tableau représentant  une  danseuse...C'est  en gros  tout ce  qui  a accompagné son  exil.

Elle me raconte son départ de chez  elle  : une  superbe  maison de  plain  pied  en bordure  de  rivière ; des fils  attentifs  et  aimants, mais occupés et lointains, la dame  qui venait l'aider dans  les gestes  de  la  vie  quotidienne mais  qui est  obligée d'arrêter. Impossible de trouver  une  remplaçante malgré des revenus corrects. En quelques jours elle  a  du se décider à tout  plaquer  pour  accepter la  place en EHPAD et sa jolie maison sera  mise  en vente. 

Quelques jours  avant  son départ, ses voisins  avaient  organisé  une  petite  fête : en prévision des tentations  sucrées  elle avait  peu  mangé à midi ... résultat  coma  hypo  et  courte  hospitalisation...Pas le  temps de faire  sa valise  pour l'EHPAD. 

Elle  me  dit  que les gens  sont  gentils  mais débordés, que sa nourriture  est  mixée parce  qu'elle n'a  plus beaucoup  de  dents, que  ça n'a  aucun gout, que  le  directeur  qui  avait promis  de  l'accueillir n'est  pas  encore  venu.

Donc  la  voilà  ici  tentant  de faire  bonne  figure,  elle  me  parle  de  ses yeux  qui  piquent  et brulent, elle n'a pas retrouvé  d'ophtalmo après mon départ  en retraite. Je  lui  dis que  je  comprends, et que  je  suis  triste. Elle  me  dit que  maintenant  sa vie  est vraiment  finie.

Je me  promets de revenir,  je n'ose  lui  parler  de  mes  autres  mamies isolées  à qui je  rends visite et  qui  me  prennent beaucoup de  temps.

Je lui fais  un bisou de  loin  (gestes  barrière) et je trouve  quelques mots d'encouragement.

Dans le  couloir du  rez  de  chaussée, un chat  vadrouille et  miaule  pour  que  je  lui  ouvre la  porte  vers  la  liberté. Je n'ai  pas  compris le  code. Un résident me l'explique. Le chat  sort  il est  libre. Je  sors aussi, le coeur gros ...          

 

5 commentaires:

  1. poignant, oui!
    et j'ai envie de te dire merci d'aller voir "tes" mamies, comme tu les appelles...

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  2. ça prend beaucoup de temps c'est le problème.pour te remonter le moral Yvonne mamie n° 4 100 printemps seule chez elle petite maison agréable toute sa tête et un peu ses jambes, fils aimant pas loin ... pas possible de faire mieux

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  3. Nous sommes allés voir une amie qui réside dans ce genre d'endroit. Ça ressemble fort à un hôpital, mais en plus morne. Dans la chambre, il faisait étouffant. Nous sommes descendus au salon/bar prendre une bière, c'est comme dans les films, y a une sonnette pour faire accourir le barman, accompagné d'une dame au fort accent slave qui, comme j'avais donné le numéro de chambre de notre amie, insiste lourdement pour que je précise ce que je veux manger le soir. Elle m'a pris pour un pensionnaire ! Bon, je la comprends un peu : je ne fais plus très frais avec mes quatre-vingt balais... elle anticipe juste un peu !

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    1. je ne peux m'empêcher de me projeter à leur place dans 10-15 ou 20 ans ce qui ne donne pas le moral
      si ça peut détendre l'atmosphère qd j'ai sonné à la porte du service de psychiatrie où je venais prendre mes fonctions d'interne j'ai bien vu que la personne qui m'a ouvert a d'abord envisagé que j'étais un pensionnaire évadé (c'était un service fermé ce qui n'en était que plus vexant)

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    2. J'aurai plus aussi longtemps à patienter ! :-)

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