Via Julien Baloul sur twitter :
"Le ciel est bleu mais les traces de tirs au-dessus de nos têtes s'enchaînent. De la fumée partout. Autour de nous des gens crient et courent. Je tiens les mains de mes filles et nous courrons pour nous protéger. Les bruits d’explosions se rapprochent. Ils semblent être juste derrière nous.
Je me réveille en sursaut. A nouveau ce même cauchemar depuis des mois. Je saisis mon téléphone sur ma table de nuit pour regarder l’heure : 6h20. Samedi 7 octobre 2023. C’est le week-end et encore l’été en Israël. Mes filles sont chez ma belle-mère, je prévois d’aller à la plage profiter du soleil. Je repose mon téléphone pour tenter de me rendormir. Quelques minutes passent. 6h29. Le cri strident des alertes missiles se fait entendre à l’extérieur. Je rouvre les yeux et tente de comprendre si je me suis rendormi. Ce n’est pas un cauchemar cette fois, c’est la réalité. Je réveille celui qui à l’époque partage ma vie : “lève toi ! Il y a une alerte !”. Nous nous habillons dans la précipitation et descendons les quatre étages qui séparent notre appartement de l’abri anti-missiles du bâtiment. “C’est sûrement une erreur !”, lance un voisin. Nous nous retrouvons tous dans l’entrée de l’immeuble, en pyjama. Nous ne prenons même pas le temps d’entrer réellement dans l’abri. Un voisin demande en rigolant: “à quelle heure Golda Meir va prendre la parole ?”, en référence à l’attaque de Kippour 1973, 50 ans jour pour jour auparavant. Le son d’une explosion à l’extérieur nous ramène à la réalité, sans que nous ne comprenions de quoi il s’agit. Aucune info sur les applications d’actualité. Aucune chaîne n’a stoppé ses programmes. Rien. Strictement rien. On remonte chez nous, sans trop nous inquiéter. Quelques minutes passent. Une nouvelle sirène d’alerte retentit. On comprend. Ce n’est pas une erreur. Il se passe quelque chose. Quelque chose de sérieux. Mais quoi ? On descend cette fois à l’abri. Je tweete et j’envoie des messages Whatsapp à mes connaissances dans les rédactions parisiennes qui s’apprêtent à débuter leurs matinales : “on en est à deux alertes, il y a des bruits d’explosions qui ne cessent pas dehors. Je n’en sais pas plus, mais ça a l’air sérieux”. 6h41. Je décide d’écrire un message laconique à ma famille en France, afin qu’ils n'apprennent pas les nouvelles par la télé. “On s’est fait réveiller par des sirènes et des explosions, on n’en sait pas plus”. De retour dans notre appartement je reçois une vidéo : des terroristes palestiniens sur une jeep, dans les rues de Sderot, une ville du sud d’Israël. Je refuse d’y croire. “C’est un fake ! C’est impossible !”. Les minutes passent et la réalité commence à s’imposer. 7h25. J’envoie un autre message à ma famille, qui n’a pas encore lu le précédent : “ça va mal, des dizaines de terroristes sont entrés en Israël par Gaza”. 8h43 : “ça ne s'arrête pas, ils ont tiré des centaines de missiles, on a l’impression de revivre la Guerre de Kippour, ils sont sur le territoire israélien, je ne sais pas où”. Un ami journaliste israélien m’écrit : “il y a des dizaines de morts et des otages”. Je suis dans un total déni : “il dit n’importe quoi, c’est impossible, comment pourrait-on avoir des dizaines de morts ?!” Il me faut plusieurs heures pour sortir de cet état de choc et comprendre ce que nous sommes en train de vivre : un pogrom. A la télé, des journalistes interviewent en direct depuis l’entrée d’hôpitaux des mères en pleurs cherchant leurs enfants. Elles les ont entendus par téléphone se faire tuer ou kidnapper, mais elles gardent l’espoir de les retrouver. Plus tard, de jeunes israéliens cachés pendant que des Palestiniens détruisent leurs maisons appellent les médias en direct : “s’il vous plait, mes parents sont morts, sous mes yeux. Je vous en supplie, envoyez de l’aide, je les entends de l’autre côté du mur, ils mettent le feu, ils arrivent pour nous prendre aussi, s’il vous plait venez”. Sont-ils en vie aujourd’hui ? Ont-ils survécu ? Je n’en sais rien. La journée se poursuit telle qu’elle a commencé. Au rythme des alertes. Le soir je suis sur l’autoroute pour aller retrouver mes filles lorsqu’une énième sirène retentit. Il n’y a nulle part où se protéger. Avec d’autres familles nous nous retrouvons couchés sur le bas côté, en espérant que les débris d’obus ne nous atteignent pas. Les explosions se multiplient et semblent si proches. Le ciel étoilé au-dessus de nos têtes est transpercé de lumières d’interceptions de roquettes. En arrivant chez ma belle-mère je prends mes filles dans mes bras et je pense à ces parents qui à ce moment pleurent la mort de leur enfant ou prient en espérant le retrouver. - Ce soir mon téléphone indique que nous sommes le 16 septembre 2024. Peut-être. Mais lorsque nous fermons les yeux, nous sommes des millions à être encore à la date du 7 octobre 2023. Et probablement pour toute notre vie. - Photo : coucher de soleil sur la plage de Tel Aviv, le 4 octobre 2023. Loin d'imaginer que nos vies étaient sur le point de basculer. --“Si seulement je pouvais être magicien le temps d’une journée, J’aurais tout donné pour que ce jour passe, que la blessure disparaisse, Tu as du mal à le croire pour le moment, Demain tu auras une belle journée, Les vagues se brisent sur le bord de plage” Shlomo Artzi.
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