Dans la cour pavée il y a une statue de la vierge à l'enfant.
Je passe la porte vitrée ; une dame me demande mon pass, et m'indique le chemin.
Je flippe je n'avais pas envie de venir mais elle a demandé à me voir et j'avais promis...
Je me répète "si je ne viens pas, personne ou presque ne le fera" j'ai promis, il n'est plus temps de reculer.
A la sortie de l'ascenseur, une salle de passage. Dans mon "bonjour" j'essaye de mettre un minimum de pêche. Devant une grande table, 6 pensionnaires figés dans un jeu de société non identifié, me répondent à peine, sans bouger ; les autres assis un peu plus loin ne répondent pas.
Me revient en mémoire cette affreuse blague qui ne me fait plus rire : "ici quand tu dis bonjour c'est la plante verte qui répond en premier" ... je remarque qu'il n'y a même pas de plante verte.
Je longe le couloir sombre et déprimant. L'architecte n'a pas fait dans l'originalité, il a copié sur le modèle des autres lieux du genre.
Devant certaines chambres des appareils flambant neufs attendent pour aider les pensionnaires à se relever de leurs fauteuils. Sur chaque porte, une carte de visite mentionne le nom des pensionnaires (je reconnais certains de mes anciens patients) avec parfois une photo : j'ai de la peine de voir tous ces visages souriants immortalisés avant leur entrée dans l'établissement. Tous ces vieux ont l'air heureux et ils sont beaux. Certains ont mis dans le cadre une photo de leurs chats ou de leurs chiens, c'est tellement triste ....
Je pousse la porte et je lui lance un bonjour enjoué alors que je sais que nous sommes tristes tous les deux. Je lui demande de me pardonner d'être venu les mains vides, je n'ai pas eu le temps de lui acheter une petite fleur. Les chocolats étaient exclus puisqu'elle est diabétique.
Elle est contente de me voir, elle tente un pauvre sourire, son exophtalmie unilatérale s'est aggravée.(il y a qq années j'ai remué ciel et terre pour en trouver l'origine sans succès)
Je remarque -comment faire autrement- l'oxygène branché à fort débit en permanence, le long tuyau qui ne facilite pas la mobilisation de son fauteuil roulant, le lit surmonté d'un énorme crucifix, sa commode, les photos des enfants et petits enfants, la table basse avec quelques livres un de Philippe Delerm et un de Jean d'Ormesson
Au mur un tableau représentant une danseuse...C'est en gros tout ce qui a accompagné son exil.Elle me raconte son départ de chez elle : une superbe maison de plain pied en bordure de rivière ; des fils attentifs et aimants, mais occupés et lointains, la dame qui venait l'aider dans les gestes de la vie quotidienne mais qui est obligée d'arrêter. Impossible de trouver une remplaçante malgré des revenus corrects. En quelques jours elle a du se décider à tout plaquer pour accepter la place en EHPAD et sa jolie maison sera mise en vente.
Quelques jours avant son départ, ses voisins avaient organisé une petite fête : en prévision des tentations sucrées elle avait peu mangé à midi ... résultat coma hypo et courte hospitalisation...Pas le temps de faire sa valise pour l'EHPAD.
Elle me dit que les gens sont gentils mais débordés, que sa nourriture est mixée parce qu'elle n'a plus beaucoup de dents, que ça n'a aucun gout, que le directeur qui avait promis de l'accueillir n'est pas encore venu.
Donc la voilà ici tentant de faire bonne figure, elle me parle de ses yeux qui piquent et brulent, elle n'a pas retrouvé d'ophtalmo après mon départ en retraite. Je lui dis que je comprends, et que je suis triste. Elle me dit que maintenant sa vie est vraiment finie.
Je me promets de revenir, je n'ose lui parler de mes autres mamies isolées à qui je rends visite et qui me prennent beaucoup de temps.
Je lui fais un bisou de loin (gestes barrière) et je trouve quelques mots d'encouragement.
Dans le couloir du rez de chaussée, un chat vadrouille et miaule pour que je lui ouvre la porte vers la liberté. Je n'ai pas compris le code. Un résident me l'explique. Le chat sort il est libre. Je sors aussi, le coeur gros ...
poignant, oui!
RépondreSupprimeret j'ai envie de te dire merci d'aller voir "tes" mamies, comme tu les appelles...
ça prend beaucoup de temps c'est le problème.pour te remonter le moral Yvonne mamie n° 4 100 printemps seule chez elle petite maison agréable toute sa tête et un peu ses jambes, fils aimant pas loin ... pas possible de faire mieux
RépondreSupprimerNous sommes allés voir une amie qui réside dans ce genre d'endroit. Ça ressemble fort à un hôpital, mais en plus morne. Dans la chambre, il faisait étouffant. Nous sommes descendus au salon/bar prendre une bière, c'est comme dans les films, y a une sonnette pour faire accourir le barman, accompagné d'une dame au fort accent slave qui, comme j'avais donné le numéro de chambre de notre amie, insiste lourdement pour que je précise ce que je veux manger le soir. Elle m'a pris pour un pensionnaire ! Bon, je la comprends un peu : je ne fais plus très frais avec mes quatre-vingt balais... elle anticipe juste un peu !
RépondreSupprimerje ne peux m'empêcher de me projeter à leur place dans 10-15 ou 20 ans ce qui ne donne pas le moral
Supprimersi ça peut détendre l'atmosphère qd j'ai sonné à la porte du service de psychiatrie où je venais prendre mes fonctions d'interne j'ai bien vu que la personne qui m'a ouvert a d'abord envisagé que j'étais un pensionnaire évadé (c'était un service fermé ce qui n'en était que plus vexant)
J'aurai plus aussi longtemps à patienter ! :-)
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