Dans la vraie vie, je te vouvoie, car avant de devenir une amie, tu étais une patiente.
La fin est proche, tu le sais, tu me le dis et moi je refuse d'y croire.
Je suis encore ce petit garçon qui croit que s'il devient médecin, ceux qu'il aime ne mourront pas, d'abord ils n'ont pas le droit.
Oui mais quand je redeviens le médecin, je sais bien que la faucheuse est là, derrière toi.(comme derrière chacun de nous)
J'essaie de te rassurer en te disant qu'on se battra pour que tu aies un traitement antalgique adapté, mais je n'y connais plus rien et je ne suis pas sûr que ça existe.
Quand je t'ai rencontrée, tu avais un glaucome pas simple à traiter et une cataracte. La première intervention de cataracte a donné un résultat décevant. Ton nerf optique était en trop mauvais état et il parait même qu'un confrère t'avait prédit la cécité.
J'ai essayé pendant des années de maintenir ta vision de l'autre oeil et, quand la cataracte est devenue assez mûre pour te pourrir l'existence, nous avons pris ensemble la décision de la chirurgie. C'est le chirurgien ophtalmo qui a subodoré ton crabe (que ton médecin avait zappé) et qui a différé l'intervention.Malgré tes craintes, tu as choisi l'opération afin "de voir la mort arriver"... tu as été opérée et le résultat est bon. "Maintenant cette opération il va falloir que tu me l'amortisses pendant vingt ans " ai je plaisanté, en espérant secrètement faire peur au crabe.
Tes consultations durent longtemps, je le sais, je le prévois.C'est ainsi depuis notre rencontre il y a 20 ans.
Tu veux parler, raconter avant de partir.
Alors j'ai tenu ma promesse : entre tes vraies consultations à mon cabinet, tu vas venir à la maison et je vais recueillir ton histoire, pour tes enfants et tes petits enfants qui sont loin.
J'ai poussé quelques papiers pour libérer un coin de la fameuse Table. J'ai déclenché mon enregistreur tout neuf, Gabrielle apporte du thé, ton mari écoute... tu me montres, des photos, c'est un peu comme un puzzle, et tu racontes, tu dis : ton père et ton oncle en Pologne puis ta mère, Paris, l'étoile jaune, les planques dans le cimetière du Père Lachaise pour échapper aux rafles, l'atelier de couture, et ceux qui ne sont pas revenus des camps.
Il faudra du temps pour tout recueillir, tu as tant à dire, il me faudra du temps pour, comme tu le souhaites, écrire à partir de tes récits.
Tu sais, Andrée, ce que je fais avec toi, je voudrais tant le faire avec Pa et je n'arrive pas à le lui demander.
Pourquoi ces entretiens si simples, si naturels avec toi, sont ils impossibles avec Pa ? Qui le fera sinon moi ?
Ton exemple, Andrée, me donnera peut -être le courage de faire parler Pa. Nommer les disparus, les faire resurgir du passé dans la mémoire de ceux qui suivront, c'est un bon projet pour les mois ou années à venir, un projet de vie tout simplement.
oui, c'est une belle chose à faire...
RépondreSupprimerje t'embrasse
Andrée m'a autorisé à publier certains pans de son histoire Si elle est toujours d'accord je le ferai ici en modifiant certains détails J'ai grand plaisir à l'écouter même quand elle raconte des choses tristes.
SupprimerJe me souviens qu'un jour une rescapée nous a raconté son histoire dans une chambre d'hôpital à l'époque j'étais jeune j'avais un RDV et je ne pensais qu'à ça et elle parlait beaucoup sans pouvoir s'arrêter sans que nous puissions l'arrêter ... je n'ai rien retenu de son récit sinon la fuite et la peur et je m'en veux toujours aujourd'hui d'avoir écouté distraitement C'est pour ça que j'écoute plus les gens ... Bises Adrienne
J'ai la chance de pouvoir le faire avec ma mère.
RépondreSupprimerJe note, je scanne les photos, je l'écoute.
oui c'est une grande chance je ne l'ai pas fait avec mes grands mères j'étais trop jeune pour comprendre l'importance de la mémoire
Supprimerbises à toi Berthoise