Mesdames et Messieurs les Sénateurs, la vue des Français n’est pas une marchandise !
LE CERCLE. Mardi 10 septembre, le Sénat va examiner le projet de loi relatif à la consommation. Au cœur de ce texte destiné à accroître la concurrence des produits de grande consommation, deux dispositions remettent en question l’organisation de la filière de soins ophtalmologiques et font basculer la santé des Français dans le domaine commercial.
ÉCRIT PAR
Dr. Jean-Bernard Rottier
Président
Syndicat national des Ophtalmologistes de France (SNOF)
Suite à l’amendement n°725 adopté en commission, le projet de loi autorise désormais les magasins d’optique et les sites de e-commerce, à vendre des lentilles de contact sans prescription médicale, au mépris des dangers liés à une mauvaise adaptation de la lentille à l’œil du patient, et à l’encontre des recommandations de l’Académie de médecine (*).
Ce même amendement fait passer la durée de validité des ordonnances de lunettes de 3 à 5 ans, quel que soit l’âge du patient et au mépris des études d’impact sur la santé visuelle des patients.
Le fait que cet amendement ait été adopté par la Commission des affaires économiques, sans avis de la Commission des Affaires sociales, sans aucune sollicitation des instances sanitaires ni évaluation des risques sur la santé des Français, alors même qu’il modifie en profondeur le fonctionnement du système de soins et de prévention, veut déjà tout dire...
Est-il nécessaire de rappeler que la consultation chez l’ophtalmologiste est un outil majeur de dépistage des pathologies, notamment asymptomatiques (tel le glaucome), qui se développent avec le vieillissement de la population ? Le suivi régulier de la bonne santé des yeux des Français ne doit pas devenir une simple option, un luxe, réservé à quelques-uns. C’est une étape essentielle en particulier pour les enfants, les adolescents et les personnes âgées.
Quelle autorité sanitaire a pu rassurer les rapporteurs sur l’absence de risques pour la santé, de se procurer des lentilles sans avis médical ? Aucune. Nous avons, en France, la chance de disposer d’institutions reconnues dans le monde entier pour piloter nos politiques de santé, surveiller les épidémies, expertiser les produits de santé, et l’indépendance de ces organismes vis-à-vis des logiques commerciales est un gage majeur de sécurité. Que devient le principe de précaution si une telle décision peut être prise sans analyse scientifique ?
Les récents scandales sanitaires nous ont appris que les produits de santé ne sont pas anodins. Augmenter la consommation de produits de santé en dérégulant leur distribution au nom de la libre concurrence est irresponsable. Contourner les problèmes de démographie médicale en démédicalisant la prise en charge est dangereux. Faire croire aux patients qu’ils font une économie en échappant au diagnostic d’un vrai professionnel de santé est mensonger.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, la santé et la vue des Français ne sont pas des marchandises. En matière de santé publique, l’intérêt supérieur du patient doit prévaloir sur le business des grandes enseignes commerciales. Le Code de la Consommation ne peut pas se substituer au Code de la Santé !
Dr Jean-Bernard Rottier
Président du Syndicat National des Ophtalmologistes de France (SNOF)
(*) Académie Nationale de Médecine, juin 2013 – sous la direction du professeur Jean-Louis Arné. Extrait : "La mesure de l'acuité visuelle et la prescription de corrections optiques sont, et doivent demeurer, un acte exclusivement médical, indissociable d’un bilan complet de l'appareil visuel".
Voici la lettre témoignage d'un patient adressée aux Sénateurs